Points de non-retour [Thiaroye]
La Colline – Théâtre national / texte et mes Alexandra Badea
Publié le 26 septembre 2018 - N° 269Opérant un savant maillage entre intime et politique, Alexandra Badea crée le premier volet de sa trilogie Points de non-retour au Théâtre de la Colline. Un spectacle qui fait retentir des paroles fortes en éclairant l’un des coins d’ombre de l’histoire de France : le massacre de Thiaroye.
Donner la parole à ceux que l’on n’entend pas. Tel est le projet du cycle de trois spectacles imaginé par Alexandra Badea dans le cadre de son compagnonnage avec le Théâtre de la Colline. Avant Quais de Seine qui traitera, en 2019, du massacre perpétré le 17 octobre 1961 par la police française sur des manifestants algériens à Paris, l’auteure et metteure en scène d’origine roumaine (née en 1980, naturalisée française en 2014) présente aujourd’hui le premier volet de cette trilogie. Au centre de son spectacle, un autre angle mort de l’histoire de notre pays : le massacre de Thiaroye. Le 1er décembre 1944, dans un camp militaire de la banlieue de Dakar, des tirailleurs sénégalais (issus de différents pays d’Afrique occidentale) rapatriés d’Europe après avoir combattu pour la France tombent sous les balles de l’armée coloniale. Le bilan officiel est de 70 morts. Pour justifier la tuerie, les autorités françaises parlent de mutinerie, sans jamais révéler le nom des soldats décédés ou le lieu de leur sépulture. Des historiens contestent aujourd’hui ces chiffres ainsi que la réalité de la rébellion. Partant de cette tragédie méconnue, Alexandra Badea fait s’entrecroiser – des années 1970 aux années 2000 – les trajets de vie de cinq personnages confrontés aux questions des origines, de l’identité et de la transmission.
Des colères, des blessures, des désarrois
Il y a Nina (Madalina Constantin), une jeune femme originaire de l’Europe de l’Est, et son compagnon Amar (Kader Lassina Touré), dont le père a disparu à Thiaroye quatre ans après sa naissance. Il y a Biram (Amine Adjina), leur fils, Nora (Sophie Verbeeck), une journaliste qui réalise une émission de radio sur le massacre du 1er décembre 1944, et Régis (Thierry Raynaud), un professeur qui découvre à la mort de son grand-père les fantômes de son histoire familiale. Dans une mise en scène en creux qui instaure des climats voilés et introspectifs traversés de vidéos, les mots sonnent juste et fort. Les colères, les blessures et les désarrois s’expriment ici sans sentimentalisme : les émotions sont contenues. Points de non-retour [Thiaroye] entrelace les récits et les époques en mettant en regard les multiples fragments d’un théâtre qui agit par enchâssements et assemblages. Et si certains passages peuvent paraître sentencieux, ils ont le mérite de poser des questions qu’il est toujours plus simple de passer sous silence. Alexandra Badea choisit de ne pas détourner le regard. Elle dit ce qui a longtemps été tu, éclaire ce que notre histoire a trop longtemps voulu occulter.
Manuel Piolat Soleymat
A propos de l'événement
Points de non-retour [Thiaroye]du mercredi 19 septembre 2018 au dimanche 14 octobre 2018
La Colline - Théâtre national
15 rue Malte-Brun, 75020 Paris
Petit Théâtre. Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h. Durée de la représentation : 2h. Tél. : 01 44 62 52 52. www.colline.fr
Egalement les 18 et 19 octobre 2018 à La Filature - Scène nationale de Mulhouse, les 29 et 30 novembre à la Comédie de Béthune dans le cadre de Next Festival.