La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien

Pascal Dusapin

Pascal Dusapin - Critique sortie Classique / Opéra
PH DUSAPIN : © Editions Salabert / V. Thaureau

Publié le 10 avril 2008

Les chemins libres de l’opéra

L’opéra est l’une des formes d’expression privilégiées de Pascal Dusapin. Coïncidence bienvenue : au moment où le compositeur met le point final à son opéra Passion, qui sera créé cet été au Festival d’Aix-en-Provence, l’Opéra Comique programme son premier opus lyrique, Roméo et Juliette. L’occasion d’évoquer ces deux ouvrages ainsi que son engagement, tant esthétique que politique.

Quel est le lien entre votre Roméo et Juliette et celui de Shakespeare ?
Pascal Dusapin : Il n’y en a aucun, si ce n’est une métaphore de Shakespeare sous la figure du personnage de Bill. Roméo et Juliette est un opéra assez godardien, dans le sens qu’il convoque une figure archétypale. Ce n’est pas la figure des deux héros qui importe, c’est la figure du discours. Or, quand on pense à Roméo et Juliette, on pense évidemment à l’amour.
 
Comment avez-vous travaillé avec Olivier Cadiot sur le livret ?
P. Du. : C’était une aventure extraordinaire, de joie et d’amitié. Comme Olivier était mon voisin, on travaillait vraiment de concert. Venant de la scène poétique, il a une relation libre avec le texte, qui n’est pas assujetti à des questions fictionnelles. Par ailleurs, c’est un grand mélomane et il pouvait donc me proposer un imaginaire sonore à partir du texte. Entre lui et moi, c’était un vrai chassé-croisé entre littérature et acoustique.
 
Quel type d’écriture vocale avez-vous privilégié dans cet ouvrage ?
P. Du. : C’est mon seul opéra en français, hormis quelques passages en langue étrangère. Le parti pris a été de considérer le texte à plusieurs niveaux. C’est un opéra où le drame est la langue elle-même. Je tenais donc à un casting exclusivement français.
 
Comment avez-vous utilisé l’électronique ?
P. Du. : A l’époque de la création, en 1989, la partie électronique n’était presque pas possible à réaliser technologiquement. C’était utopique, car il y avait un travail de superposition de couches. Ce projet de transduction sonore se heurtait à des problèmes de feedback, de larsen… Aujourd’hui, on a d’autres outils, et la production de l’Opéra Comique s’appuie sur les services de l’Ircam. Ce sera donc la première fois qu’on entendra complètement cette partie.
 
« Il y a un affaissement de la pensée qui m’inquiète »
 
Quel regard portez-vous sur la division de la scène musicale contemporaine entre néo-tonaux et post-bouléziens ?
P. Du. : C’est le jeu de l’histoire qui avance par « réaction contre ». En ce qui me concerne, j’ai une grande admiration pour Boulez, même si je ne viens pas de son école. Ce qui me frappe, c’est de voir combien certains jeunes compositeurs se satisfont d’une musique tranquille alors que notre génération était vraiment militante. C’est sans doute symptomatique d’une époque baignée par la peur. Mais au-delà de cette querelle entre trois arrondissements parisiens, il y a un affaissement de la pensée qui m’inquiète. On nous fait croire qu’Amélie Nothomb est plus importante que Beckett. Prenons par exemple les dernières Victoires de la musique classique. Cette année, l’une de mes pièces pour piano devait être jouée, mais j’ai été censuré par la télévision, car on a jugé que mon œuvre était trop compliquée pour le public, et on l’a remplacée par une autre de mes partitions. J’ai pris ma décision : je ne veux plus jamais être nominé aux Victoires.
 
Comment réagissez-vous à la réduction, par l’Etat, du budget consacré à la Culture ?
P. Du. : La part allouée à la création ne cesse de baisser. Toute une classe politique et culturelle revendique un plaisir consommable immédiatement. Ses représentants sont entourés d’artistes prêts à tout pour y arriver, et attaquent une culture qu’ils qualifient d’élitiste. J’aimerais rappeler à ces personnes que Michaux n’a, de son vivant, vendu que trois mille livres. Et aujourd’hui, qui peut sérieusement ignorer son travail ? Aussi dangereux soit-il, Nicolas Sarkozy n’est qu’un symptôme de cette situation.
 
Pouvez-vous nous parler de Passion, votre prochain opéra qui sera créé cet été au Festival d’Aix-en-Provence ?
P. Du. : C’est un opéra très différent de mes deux derniers : Perelà et Faustus, qui étaient de « grosses machines ». Passion est plus modeste et sera donné dans le cadre du Théâtre du Jeu de Paume. J’ai envie d’un rapport plus intime avec le public. Il y aura deux chanteurs principaux, un sextuor vocal et un orchestre d’une vingtaine de musiciens. Le modèle, c’est Monteverdi. Le mot Passion s’entend d’ailleurs dans son sens de la Renaissance, c’est-à-dire l’expression des affects, de l’âme. Il est presque impossible de dissocier les trames musicale et littéraire. C’est pour cela que j’ai moi-même rédigé le livret, en me basant sur les textes des opéras de Monteverdi. Il y aura, enfin, un traitement particulier de l’électronique, puisqu’il comprendra des capteurs d’émotion, qui enregistreront la pression sanguine…
 
Propos recueillis par Antoine Pecqueur


Roméo et Juliette : les 28, 29 avril, 2 et 5 mai à 20h à l’Opéra Comique. Tél. 0.825.01.01.23 Places : 6 à 70 €. Momo : du 7 au 12 avril à 14h30 et les 8, 10 et 11 avril à 11h30 et le 12 avril à 16h à l’Opéra Comique. Places : 11 €. Etudes pour piano : les 26, 28, 29 avril, 2 et 5 mai à l’Opéra Comique. Places : 11 €. Requiem : 11 et 12 avril à 20h45 et 13 avril à 17h au théâtre des Gémeaux de Sceaux. Tél. : 01.46.61.36.67. Places : 31 €. Et 18 avril à 20h à la Cité de la musique. Tél. 01 44 84 44 84. Places : 22 €.

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