La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien ZAD MOULTAKA

PARIS-BEYROUTH, VOYAGE INTERIEUR

PARIS-BEYROUTH, VOYAGE INTERIEUR - Critique sortie Classique / Opéra Paris INSTITUT DU MONDE ARABE

INSTITUT DU MONDE ARABE

Publié le 1 octobre 2012 - N° 202

Musicien double, pianiste et compositeur, français et libanais, nourri autant de musiques savantes que de traditions populaires, Zad Moultaka est à l’honneur du Festival d’Île-de-France avec cinq pièces. Dans ce concert monographique, véritable portrait musical, il lève le voile sur une œuvre nouvelle jouée en création mondiale inspirée par des poèmes de Mahmoud Darwich et Giorgos Seféris sur les questions de la mémoire et de la transmission.

« La « dualité » est au centre de la vie, elle est omniprésente. »

Pourquoi êtes-vous si habité par cette question de la dualité, qui est au cœur de ce programme?

Zad Moultaka : J’ai vécu mon enfance baigné dans la notion de « frontière », avec tout ce que cela implique comme sentiment d’enfermement, de danger, de peur de l’autre, donc dans une forme de dualité, mais changeante au gré des évènements politiques puisque « l’ennemi » n’était pas toujours le même, ni dans le même camp. Cette réflexion sur le double s’est donc ancrée rapidement dans mon esprit et j’ai vite compris que cet « autre » n’était que le reflet de nos propres démons, nos propres peurs. Par ailleurs, j’ai hérité aussi, de mon pays natal, une position double plus positive, celle d’un lieu géographique et culturel regardant d’un côté vers l’orient et de l’autre vers l’occident, position riche, qui est l’essence même de sa fragilité et de sa possible force.

Faut-il expliquer votre questionnement uniquement à travers le prisme de votre histoire personnelle franco-libanaise ? 

Z. M. : Je crois en effet qu’il est réducteur d’expliquer les choses simplement à travers la fenêtre de l’appartenance ou de l’histoire personnelle. Je pense que le « particulier » ou « l’expérience intime » nous sont donnés pour éclairer le « général » ou quelque chose qui va bien au-delà de nos frontières corporelles. La « dualité » est au centre de la vie, elle est omniprésente, dans des réalités faussement banales comme le chaud ou le froid, le jour ou la nuit, pour ne citer que ces exemples simples.

Comment est née l’idée de composer Enè bèki, pièce pour orchestre, chœur et soliste ? 

Z. M. : C’est le festival d’Ile-de-France qui est à l’origine de ce projet, l’idée étant de créer un orchestre avec des jeunes musiciens de France et du Liban. J’ai décidé de travailler sur des textes de Mahmoud Darwich parlant justement de cet « autre » qui plane sur l’ensemble de son œuvre ainsi que sur un texte de Giorgos Seféris. Ce poème parlant de l’exil traverse l’œuvre avec étirement et lenteur. J’ai eu envie d’écrire une pièce qui soit à la portée des musiciens du point de vue technique, mais qui les oblige à être dans une écoute attentive de l’autre. Ils ont parfois peu de notes à jouer mais chacun a un rôle important pour faire tenir l’édifice. J’aime cette idée de fragilité absolue, l’idée de ce « rien » qui pourrait faire basculer des choses si solides en apparence… Enè bèki veut dire « je pleure », et c’est le titre d’un des poèmes de Darwich utilisé dans cette pièce.

Le Moyen-Orient et l’Occident ont souvent du mal à se comprendre et donc à se respecter. Quel est votre regard sur ce « divorce » qui semble grandissant ?

Z. M. : Je crois en effet que le malentendu est grand ! Et c’est normal car ce sont deux modes de pensée très différents. C’est une question de rapport au monde. C’est un raccourci, mais l’un est vertical et l’autre horizontal, et ça change tout. On le sait, l’Occident a fait beaucoup de mal et s’il s’en rend compte aujourd’hui, c’est parce qu’il est à bout de souffle. Il est urgent trouver de nouvelles sources. L’Orient est empêtré dans son passé et devient agressif. Pourtant, je suis persuadé qu’il pourrait être cette source. Mais le chemin est extrêmement long. Terriblement long ! Ce qui nous sauve peut-être, c’est cette perméabilité que nous vivons aujourd’hui, qui fait que nous sommes de plus en plus multiples et qu’à présent, ces problématiques de « divorce » se retrouvent à l’intérieur de nous-mêmes.

Propos recueillis par Jean Lukas.

A propos de l'événement

ZAD MOULTAKA
du samedi 13 octobre 2012 au samedi 13 octobre 2012
INSTITUT DU MONDE ARABE
1 Rue des Fossés Saint-Bernard 75005 Paris

Institut du monde arabe. Enè Bèki pour orchestre, chœur et soliste, Artificiale I pour alto et sons fixés, Cinq Haikus pour alto et voix, Mystère des mystères duo guitare violoncelle, Calvario pour guitare et sons fixés. Oeuvres interprétées par l’ensemble Mezwej, Christophe Desjardins (alto), Armand Angster (clarinette), Françoise Kubler (soprano), Pablo Marquez (guitare) et Alexis Décharmes (violoncelle), l’orchestre et chœur franco-libanais dirigé par Toufik Maatouk et l'ensemble C barré dirigé par Sébastien Boin. Samedi 13 octobre à 20 h. Tél. : 01 58 71 01 01. Places : 16 à 22 €.
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