La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2010 Entretien / Robert Abirached

Optimisme et vigilance

Optimisme et vigilance - Critique sortie Avignon / 2010
Robert Abirached

Publié le 10 juillet 2008

Ecrivain et critique, professeur émérite à l’Université de Paris X-Nanterre, Directeur du Théâtre et des Spectacles au Ministère de la Culture de 1981 à 1988, Robert Abirached rompt avec le pessimisme ambiant et ausculte les conditions d’une sortie de crise.

Dans quelle mesure peut-on parler de crise du théâtre ?
Robert Abirached : Ce qui est en interrogation, en péril et en renouvellement, c’est le socle sur lequel s’est fondé le théâtre public et qui fait l’originalité du théâtre français. Le théâtre, qui est pourtant le moins narcissique des arts, s’est laissé prendre par une sorte d’égotisme ambiant, qu’a favorisé pendant un moment le triomphe des metteurs en scène, dont l’attitude faisait écho au retour du « moi je », tant honni au lendemain de 1968, au détriment d’un projet commun au service d’un public constamment à renouveler et à former. Ce qui est en crise aussi, c’est la représentation elle-même qui peine à se relever des décombres laissés par les années 50 qui ont discrédité les formes théâtrales traditionnelles. On retrouve d’ailleurs cette crise dans les différents domaines de l’art et de la pensée.

Cette crise est-elle inéluctable ?
R. A. : Depuis un an ou deux, malgré l’atonie du Ministère, on assiste à une reconstruction bribe par bribe, endroit par endroit. Des théâtres renouent avec le public ou entretiennent de nouveaux rapports avec lui ; celui-ci se reconstruit dans des solidarités différenciées en autant de micro-publics. Le théâtre, antidote au formatage médiatique, n’a jamais attiré autant de monde dans les salles, à Paris comme en province. Les choses se modifient jusque dans le répertoire, par l’émergence de textes nouveaux et l’arrivée d’une génération d’écrivains qui remettent la scène en liaison avec la société et le monde. Le pessimisme n’est donc plus tout à fait de mise, malgré le mutisme, ou, ce qui revient au même, l’hyper-bavardage du Ministère, car les artistes et les spectateurs ont repris l’initiative dans bien des endroits.

« Les artistes et les spectateurs ont repris l’initiative dans bien des endroits. »

A quelle étape de son développement en est la décentralisation ?
R. A. : Un premier cycle s’achève en laissant des résultats positifs quant au maillage théâtral du territoire. Le cycle suivant s’amorce dans la tension entre deux conceptions et deux manières de faire : une manière totalement réactionnaire et futile qui veut soumettre le théâtre et les arts à la mesure de la fréquentation et à la régulation par l’argent, et une manière qui parie sur le long terme, avec des changements au jour le jour soutenus par la profession et le public, avec l’idée que le théâtre n’est pas un simple objet de fête sociale mais un instrument de création, intimement lié à la mémoire, à la marche et aux contradictions du monde. Il y a certes là un retour aux origines du théâtre occidental et aux vieilles raisons grecques : le théâtre n’est pas fait pour des individus solitaires mais pour les spectateurs assemblés dans la cité. Les Régions, les villes, les collectivités locales ont compris cette idée qui s’est répandue chez nombre d’édiles. On ne peut nier l’importance et la réalité de ce mouvement. Reste néanmoins aujourd’hui à renouveler la définition et les pratiques du service public.

Par quel biais ?
R. A. : Pour ne citer qu’un seul exemple, un service public rénové passerait d’abord par une liaison renforcée entre théâtre et éducation, autour de projets originaux mis au service d’une éducation de l’imaginaire, aussi importante que la formation intellectuelle. Appartiennent aussi au service public, aujourd’hui comme hier, le souci de parler aux spectateurs un langage qui les concerne, le soutien porté à l’écriture, l’intérêt porté à la formation des artistes et à leur entrée dans la carrière, etc. Il ne s’agit pas pour l’Etat de se considérer comme un simple organisateur d’événements, pourvoyeur de spectacles et de jeux, à la remorque des tendances consuméristes de l’époque qui remplacent et annulent une conception ambitieuse de l’art. Qu’on veuille faire écho aux modes est une chose, mais il faut se poser la question de savoir si c’est là l’aboutissement de la modernité ou si on peut faire le choix d’une autre modernité. Le Ministère de la Culture fête ses cinquante ans. Le travail accompli depuis cinquante ans est considérable. Pour ne pas en perdre les bénéfices, il faut que le Ministère se réapproprie une pensée, un dynamisme, un contenu et qu’il redevienne volontariste. Le danger est qu’il devienne un ministère de gestion, au lieu de demeurer un ministère de mission.

Propos recueillis par Catherine Robert

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