La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Nous sommes tous des Papous

Nous sommes tous des Papous - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2008

Brutale et puissante, hypnotique et atterrante, inquiétante et cruellement familière, Nous sommes tous des Papous ausculte les ultimes soubresauts de l’espèce humaine.

Comme une bolge dantesque, une poche de pus ou une salle de torture, l’espace scénique imaginé par Denis Chabroullet semble contenir tous les rebuts industriels et symboliques de notre humanité dévoyée. Machines démoniaques composées d’éléments détournés, ordinateurs déglingués, ballons de football, membres arrachés et tronc dépecés de mannequins exilés des vitrines : les éléments du décor envahissent un ring infernal autour duquel se serre le public comme pour assister à l’ultime hallali de quatre survivants hagards. Si l’impression de science-fiction rassure peut-être les plus optimistes ou les plus aveugles, force est de constater que Chabroullet décrit le monde davantage qu’il ne le fantasme, tendant à ses contemporains le miroir grossissant de sa sagacité radicale. Tous les errements de la modernité sont évoqués dans cet antre émétique : déchets nucléaires impossibles à recycler, raréfaction de l’air pur et de l’eau, amoindrissement des ressources sylvestres ici réduites à un pommier d’amour dont la présence semble un clin d’œil ricanant au milieu de ce déferlement de haine et de frustration, intersubjectivité en berne et omniprésence de tout ce qui blesse, tranche, perce et menace.
 
Visions hallucinatoires d’un monde en déréliction
 
Derrière un grillage qui sépare deux mondes sans indiquer lequel est la prison de l’autre, Roselyne Bonnet des Tuves (compositrice et chanteuse) et ses musiciens accompagnent l’action ou lui répondent, en syncope, en osmose ou en résistance au désastre qu’interprètent les quatre comédiens. Sandy Albertelli, Marie-Pierre Pirson, Clémence Schreiber et Philippe Soutan, surexposés, survoltés, presque possédés, campent les personnages installés dans cet immonde égout. Trois femmes qui tentent désespérément de récupérer les détritus du marasme et un homme, en manque ou en trop, qui vient faire dérailler cette atroce mécanique des fluides que charrie un caniveau mortifère. La force du propos de Chabroullet tient moins au fait qu’il se passe de mots pour dire les choses qu’au fait qu’il se garde de tout commentaire moralisateur ou solution philosophique facile pour interpréter le désastre. Il semble que ce qu’il décrit soit au-delà de toute herméneutique, comme si le sens était déjà mort dans les gestes presque réflexes de cette humanité défunte. Comme une pythie adhérant à sa transe, le maître de la Mezzanine tient en haleine le spectateur et lui montre ce qu’il voit, en laissant ouvertes la méditation et la glose. Par leur inventivité et leur sens aigu de la perfection formelle, Denis Chabroullet et le Théâtre de la Mezzanine prouvent que les artistes ne sont pas seulement les transcripteurs du monde, mais en sont les rivaux.
 
Catherine Robert


Nous sommes tous des Papous, écriture scénique et scénographie de Denis Chabroullet ; conception musicale de Roselyne Bonnet des Tuves les 6, 7 et 8 février à 20h30 à La Serre (ex-Jardiland), route de Nandy, 77127 Lieusaint (ville nouvelle de Sénart). Réservations au 01 60 60 51 06. Les 20, 21, 22, 23 février à la salle Jacques Brel de Fontenay-Sous-Bois .Res 0149747910.

A propos de l'événement


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