La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Mohamed El Khatib / Un théâtre de la rencontre

Mohamed El Khatib / Un théâtre de la rencontre - Critique sortie Théâtre Arras Théâtre d’Arras
Crédit photo : Fonds de dotation Porosus / Anthony Anciaux

Tandem Douai-Arras (Théâtre d’Arras et Hippodrome de Douai) / Moi, Corinne Dadat et Finir en beauté / texte et mes de Mohamed El Khatib

Publié le 17 décembre 2014 - N° 228

Le tandem Douai-Arras continue sa route originale et prospère, en soutenant de manière active la création contemporaine. En janvier, il accueille le jeune auteur et metteur en scène Mohamed El Khatib avec deux pièces documentaires : Moi, Corinne Dadat et Finir en beauté.

« Penser chaque geste artistique comme un acte à la fois sensible et social. »

 

Comment avez-vous rencontré Corinne Dadat et pourquoi avez-vous choisi de travailler avec elle ?

Mohamed El Khatib : Alors que j’animais un atelier à Bourges en 2012, elle faisait le ménage dans notre salle de travail. Et ce qui m’a frappé, c’est qu’elle ne disait jamais bonjour, elle ne répondait pas. J’ai fini par l’interpeller en lui disant : « mais vous ne dites jamais bonjour ? » Elle s’est retournée et m’a répondu : « Vous voulez que je vous dise le nombre de fois dans ma vie où j’ai dit bonjour et on ne m’a pas répondu ? ». Ça été le point de départ de nos échanges. Par la suite je l’ai suivie pendant son travail avec la photographe Marion Poussier, et j’ai enregistré toutes nos conversations, mesurant ainsi à la fois la richesse et la nécessité de faire entendre, sans complaisance, son témoignage, celui d’une ouvrière du lumpenproletariat aujourd’hui. Corinne a une qualité de présence phénoménale. J’ai eu envie qu’elle vienne parler elle-même de son travail afin de ne pas, une fois de plus, parler à sa place. 

Finir en beauté : pourquoi ce titre ?

M. E. K. : La fin peut-elle être belle ? En finit-on jamais ? La pièce commence mal, comme l’histoire, puisque dès le début elle (la mère) meurt, et que son fils (moi) est très triste. Comment pouvait-il en être autrement ? Et pourtant je crois que ce drame est très beau. Alors j’ai retiré le point d’interrogation de façon à ce que la beauté dans le deuil soit ici un impératif catégorique. Sinon on est foutu.

Comment avez-vous composé la pièce ?

M. E. K. : Je voulais écrire un texte sur l’enfance à partir d’entretiens réalisés avec ma mère. Le 20 février 2012, la mort a tout court-circuité. Dès lors, j’ai réuni l’ensemble du matériau-vie à ma disposition entre mai 2010 et août 2013. Je n’ai pas toujours demandé les autorisations utiles. Je ne me suis pas posé la question de la limite, de la décence, de la pudeur. J’ai rassemblé ce que j’ai pu et j’ai reconstruit. Tout est allé très vite et sans préméditation. Ça a donné lieu à un récit composite et tragiquement drôle : extraits de journaux, e-mails envoyés et reçus, messages téléphoniques, sms, bribes d’échanges avec le père, transcriptions d’enregistrements, vidéos…

Vous considérez que la création est un geste «social et esthétique»

M. E. K. : Je considère que l’esthétique n’est pas dénuée de sens politique. Ça suppose de penser chaque geste artistique comme un acte à la fois sensible et social. Cela ne tient que par le souci de confronter en permanence l’expérimentation artistique la plus radicale avec des modes de partage et de diffusion les plus directs possibles, dans un rapport quotidien. Autrement dit, concernant le travail que l’on mène au sein du collectif Zirlib, il s’agit de fabriquer des objets sensibles à caractère plus ou moins spectaculaire, cherchant à créer de la singularité à petite échelle et produire du discernement au-delà de l’art.

Vous affirmer le document comme un atout dans votre travail. Pourquoi ? 

M. E. K. : Le point de départ est toujours une rencontre. Rencontre avec une femme de ménage, un éleveur de mouton, un électeur du Front national, un marin. À partir de ces rencontres, se mettent en place des protocoles de recherche qui aboutissent à des formes dont chacun peut s’emparer immédiatement. L’écriture n’existe pas a priori, elle ne précède ni une pièce, ni ne s’applique à copier le réel, mais elle émerge en temps réel avec l’environnement dans lequel on s’immerge. C’est ainsi que pour la prochaine création, j’aimerais m’installer à Hénin-Beaumont pendant plusieurs mois pour côtoyer deux communautés de la population française amenées à devenir sinistrement majoritaires : les chômeurs et les électeurs du Front national…

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Moi, Corinne Dadat
du lundi 12 janvier 2015 au jeudi 15 janvier 2015
Théâtre d’Arras
7 Place du Théatre, 62000 Arras, France

Finir en beauté, les 12 et 13 janvier 2015 à 20h. Tél. : 03 21 71 66 16. Hippodrome de Douai, place du Barlet, 59500 Douai.

Moi, Corinne Dadat, les 14 et 15 janvier à 20h. Tél. : 03 27 99 66 66. Site : www.tandem-arrasdouai.eu

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