Miramar, chorégraphie de Christian Rizzo

Il y a d’abord un solo, une danseuse qui fait virevolter sa chevelure lisse dans la pénombre. Anonyme, on ne distingue jamais vraiment son visage. Son attention est dirigée vers le fonds de la scène, qui l’appelle, la happe. Au plafond, un dispositif de néons mobiles fait onduler des nappes lumineuses sur des parcelles de son corps. Il les sublime au gré de ses gestes vifs, bras projetés dans l’espace ou passages au sol. En même temps, une atmosphère sonore se dessine, sourde, grésillant, qui évoque des paysages gris indéterminés. Puis, neuf interprètes s’avancent en ligne sur le plateau, comme s’ils s’opposaient à elle, deux strates humaines qui commencent à esquisser les contours de cette pièce. Toujours à travers une approche abstraite, Christian Rizzo fait à nouveau émerger des espaces fantastiques nimbés d’une aura mystique, comme c’était le cas dans le chamanique une maison (2019). Mais avec Miramar, on pensait qu’il voulait nous convier à passer un bain de soleil au bord de l’océan à Biarritz. Que nenni.

Horizon sombre

 Miramar a plus des allures de station balnéaire plongée dans un hiver post-apocalyptique que de vacances farniente. Grâce à une chorégraphie dense qui allie texture sonore mystérieuse, jeux de lumières mouvants, scénographie fascinante et gestes obsédants, cette pièce imprime durablement la rétine et l’âme. Sa danse est faite d’appels, qui animent des petits groupes de danseurs, faisant jaillir des fragments de chorégraphies, qui s’organisent les uns après les autres, parfois en simultané, dans l’espace. Son flux permanent nous berce, doux ressac ponctué de quelques flashs lumineux, qui nous pénètrent telle une onde, et ce flux fait frissonner l’intérieur. Puis il y a cette relation renversée à la scène, qui nous place derrière l’action, dans la même direction que les interprètes qui contemplent en silence le fond. Ils se tiennent comme des âmes égarées, le regard aspiré par le magma noir. Une contemplation calme de la catastrophe, qui nous happe entièrement. Difficile de ne pas voir dans cet océan lugubre le désastre écologique, la montée des eaux, la destruction de la faune marine. Mais aussi un horizon incertain, bouché et gluant, où l’entraide et le collectif seraient peut-être la seule option. Expérience à la fois intime et collective, Miramar continue de nous hanter.

Belinda Mathieu