Maladie de la jeunesse
Théâtre de la Tempête / de Ferdinand Bruckner / mes Philippe Baronnet
Publié le 28 janvier 2016 - N° 240Remarquable spectacle ! Philippe Baronnet réunit une troupe homogène de très talentueux comédiens qui excellent à ressusciter les errements de la jeunesse allemande de l’entre-deux-guerres.
Ils sont sept sur scène et chahutent pendant l’installation du public. Séduisants et beaux, vifs et déliés, s’amusant à un de ces jeux crétins de carabins, entre blague potache et bizutage bruyant, ils ont l’air d’étudiants d’aujourd’hui. La scène, dépourvue de toute indication d’époque, laisse suggérer que l’histoire pourrait être contemporaine. Mais, petit à petit, les références du texte, les costumes et quelques éléments du décor replacent la pièce de Bruckner dans son contexte historique, celui de l’après Première Guerre mondiale, dans une Allemagne qui flirte avec la mélancolie et le cynisme, mais n’a pas encore sombré dans les errances du nazisme. Tout est là, pourtant, qui y prépare, et la menace qui plane donne un sens terriblement prémonitoire à l’indécision temporelle du début. Si on a pu confondre cette jeunesse avec celle d’aujourd’hui, c’est peut-être que le ventre immonde de la bête est prêt à accoucher de nouveau… La mise en scène de Philippe Baronnet n’insiste jamais sur ce parallèle. Elle laisse au spectateur le choix de l’association libre, mais ce subtil traitement de la pièce de Bruckner n’en est que plus fécond.
Les magnifiques
Clémentine Allain, Thomas Fitterer, Clovis Fouin, Louise Grinberg, Félix Kysyl, Aure Rodenbour et Marion Trémontels sont tous d’une justesse et d’une intensité éblouissantes. Les jeunes comédiens, remarquablement dirigés par Philippe Baronnet, qui signe une mise en scène d’une fluidité et d’une force rares, interprètent leurs personnages avec une sidérante aisance. La psychologie est disséquée au scalpel ; les rivalités, les attractions, les conflits et les alliances sont peints avec la délicatesse du pastel et la brutalité du couteau. Le théâtre semble par instants s’effacer, tant l’interprétation est empreinte de vérité. Le texte, à la vivacité intellectuelle éclatante, n’est jamais écrasé sous les effets : on entend tout, on savoure tout. Les traits d’esprits sont incisifs, les saillies sont mordantes, les mots d’amour sont aussi poignants que les cris de douleur. Brillants et naïfs, ambitieux et sincères, intelligents et blessés, les héros se débattent entre le désir de pureté et la tentation de l’embourgeoisement. Loin des sirops insipides dont le théâtre contemporain nous gave en offrant le spectacle d’une jeunesse narcissique et aboulique, Bruckner offre la dignité de l’intelligence au désespoir. Il fait le portrait d’une génération infiniment pitoyable et résolument solaire, celle dont on rêverait, peut-être, pour la catastrophe dont on peut craindre qu’elle advienne à nouveau…
Catherine Robert
A propos de l'événement
Maladie de la jeunessedu vendredi 15 janvier 2016 au dimanche 14 février 2016
Théâtre de la Tempête
75012 Paris, France
Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h30. Tél. : 01 43 28 36 36. Durée : 2h.