Tristesse et joie dans la vie des girafes
Avec quatre comédiens, Thomas Quillardet [...]
Avignon / 2017 - Entretien / Sabrina Bus
Avec la metteuse en scène Natascha Rudolf, la comédienne Sabrina Bus a adapté la pièce de Wedekind, La Boîte de Pandore, pour la resserrer sur le personnage mythique de Lulu. Nominée aux Prix Beaumarchais en 2014 pour son interprétation dans ce rôle, la comédienne, féministe convaincue, nous explique sa vision de la pièce et du personnage.
Comment est né ce projet ?
Sabrina Bus : En lisant Wedekind, c’est d’abord une envie d’actrice qui m’est venue, car le texte, haché de tirets, est une invitation à jouer. S’est aussi greffé quelque chose de cérébral, des questionnements sur notre société patriarcale, notamment le poncif de la femme fatale. Que se cache-t-il derrière ce concept inventé par les hommes, ce mythe filmé, écrit, raconté, porté à la scène le plus souvent par des hommes ? Lulu est une femme très désirée, apparemment libérée des conventions sociales, mais, dans le même temps, prisonnière du regard que portent les hommes sur elle. Ce regard va jusqu’à définir son identité : pour l’un, elle est Nelly, pour l’autre Lulu, ou encore Mignon ou Katia. Cette contradiction parle beaucoup à notre société. Lorsqu’on est une femme, on expérimente qu’on nous met à l’endroit où on veut bien nous mettre. On ne décide pas complètement, ou alors on est taxé de manipulatrice. Dans cette société où elle est désirée, Lulu évolue comme un poisson dans l’eau, mais l’eau d’un bocal.
« Dans cette société patriarcale, Lulu évolue comme un poisson dans l’eau, mais l’eau d’un bocal. »
Est-ce que cela ne rejoint pas un peu la position de l’actrice qui n’existe qu’au travers du désir des autres ?
S. B. : Peut-être. Mais l’actrice est aussi force de proposition. A elle de s’emparer de cette liberté-là. C’est en tout cas comme cela que nous avons travaillé avec Natascha Rudolf : d’un côté, mes intuitions de plateau, ce texte qui grandissait en moi et prenait corps, de l’autre, son recul, ses doutes. Lulu est une femme brisée, elle a été abusée. Or, la liberté est un territoire dont les clefs se transmettent un minimum, on ne peut pas tout en inventer.
Pourquoi avoir gommé le contexte social de la pièce et le meurtre par Jack l’Eventreur ?
S. B. : Natascha Rudolf a ciselé ce qui l’intéressait dans le texte pour passer d’une « tragédie-monstre » comprenant 40 personnages, 3 villes, 6 heures de spectacle à une pièce resserrée sur la trajectoire de Lulu, entourée des hommes qui gravitent autour d’elle. Nous n’avons donc pas gardé l’aspect « dix-neuviémiste » comme les fêtes mondaines, l’évocation du krach boursier ou le fait divers de l’époque : Jack l’Eventreur. Mais on peut remarquer que la pièce est contemporaine des débuts de la psychanalyse. Les personnages sont enfermés dans des rapports de domination/ manipulation, ils sont tous pris dans des schémas de reproduction. Or, qu’est-ce qui peut permettre d’en sortir sinon un recul, une analyse ou le théâtre cathartique ?
Propos recueillis par Isabelle Stibbe
à 12h30. Tél. : 04 90 25 96 05.
Avec quatre comédiens, Thomas Quillardet [...]