Cendres de Marbella de Hervé Mestron, mise en scène Pascal Antonini
Prix Hors Concours des Lycéens en 2018 et [...]
Théâtre - Entretien /Festival d'Avignon 2021
L’économiste et auteur sénégalais Felwine Sarr rapproche le poète résistant René Char (1907-1988) et l’essayiste psychiatre Frantz Fanon (1925-1961) pour interroger l’exercice de la liberté, hier comme aujourd’hui. Une quête exigeante, courageuse et absolue.
En quoi René Char et Frantz Fanon habitent-ils votre spectacle ?
Felwine Sarr : Figures contemporaines, René Char et Frantz Fanon ne se sont pas rencontrés, mais ils se sont engagés dans une voie similaire, dans une quête absolue pour la liberté. Ils ont rêvé de liberté et se sont efforcés de la traduire en actes, de l’incarner dans leurs vies. Au moment de la Seconde Guerre mondiale, ils ont décidé de quitter l’abstraction de la théorie, de la pensée, de la poésie pour se lancer dans la résistance armée contre le nazisme. Sous le pseudonyme de Capitaine Alexandre, René Char a pris le maquis, et les Feuillets d’Hypnos sont le témoin littéraire de ce moment. Lorsqu’il revient à la vie civile, il continue à écrire de sublimes poèmes sur la vérité, l’amour, la beauté, qui pour lui sont d’autres visages de la liberté. Frantz Fanon a rejoint le Bataillon 5 en Afrique du Nord, il a participé à la Bataille d’Alsace en 1945. Après la guerre, il est devenu médecin psychiatre puis s’est engagé contre la colonisation en Algérie. Né Martiniquais, il meurt Algérien. S’il a travaillé sur le racisme et le colonialisme, il vise à s’extraire de l’histoire, de la race, de l’appartenance nationale, de toute forme de détermination qui entrave l’idée de liberté. Il est avant tout un homme qui interroge, passionnément.
Comment avez-vous procédé pour l’adaptation à la scène ?
F.S.: Fureur et Mystère, Partage Formel, Le Marteau sans maître de René Char, Peau Noire, Masques Blancs, Les Damnés de la terre de Frantz Fanon sont les textes qui serviront de base à ce spectacle. Mais il ne s’agit pas d’un récital de textes, ni d’un café littéraire, ni d’une patrimonialisation de leur travail. Dans la mise en scène de Dorcy Rugamba, quatre personnes – une comédienne (Marie-Laure Crochant), un musicien (Majnun), une performeuse et musicienne (T.I.E) et moi-même – vont alternativement s’emparer de leurs textes, faire résonner leurs voix et consciences. C’est un voyage qui questionne le rapport à la liberté de René Char et Frantz Fanon, un voyage historique, musical et poétique.
Comment ce voyage résonne-t-il aujourd’hui ?
F.S.: A l’articulation de la conscience individuelle et des destins collectifs, leur quête de liberté éclaire des questions éminemment contemporaines, à la croisée de plusieurs problématiques et contraintes actuelles, écologiques, liées à la pandémie ou autres, qui dénotent notre difficulté à faire monde. Nous vivons dans une ère rabougrie de repli sur soi, qui va de pair avec un rabougrissement des idées. Nous sommes en panne d’utopie. Pourtant René Char et Frantz Fanon nous rappellent qu’au cœur des ténèbres de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’ils faisaient face à la négation de l’humanité, ils ont œuvré pour défendre la liberté. A chaque génération, le travail de la liberté est à entreprendre à nouveau. Contre l’idée de renoncement, une sagesse se dessine à partir de leur écriture et de leur quête, qui accorde à l’unisson les actes et les paroles.
Propos recueillis par Agnès Santi
à 20h30. relâche le 17. Durée : 1h.
Prix Hors Concours des Lycéens en 2018 et [...]