Jean La Chance
Comme un Candide qui ne tirerait leçon de [...]
La Symphonie inachevée de L’Homme sans qualités de Musil est révélée intégralement dans une ardeur scénique éblouissante par Guy Cassiers.
Trois volets – L’Action parallèle, Le Mariage mystique et Le Crime – égrènent la fresque critique, ironique et grotesque d’une société au bord du gouffre. La Première Guerre mondiale fait exploser l’Empire multiculturel austro-hongrois, impérial et royal, la fameuse Cacanie ironisée par Musil. Mais l’intrigue commence un an avant la Grande Guerre qui sonne le glas de la Vieille Europe et la fin de l’Empire. Or, pour Guy Cassiers, privilégiant toujours une littérature qui est le miroir de son temps, la Cacanie – un espace de transition dans lequel les valeurs vacillent – représente nos temps de troubles actuels. Le premier volet est la dernière « cène » d’une civilisation qui se refuse au déclin. La technologie visuelle y joue un rôle majeur, transformant deux chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art, La Cène de Leonard de Vinci et L’Entrée du Christ à Bruxelles de James Ensor : l’équilibre d’abord, avant la dégénérescence carnavalesque de la culture ensuite. La musique de Wagner accompagne ce spectacle-monde qui considère L’Homme sans qualités comme un autre Crépuscule des Dieux. La culture équestre chère à Vienne est forcément présente sur le plateau. Quant au second volet, il a trait à l’amour incestueux entre Ulrich, le protagoniste idéaliste, et sa sœur Agathe, tandis que le troisième volet s’attache aux pulsions inconscientes de la société et de l’être humain. Une promenade passionnante.
Véronique Hotte