Essonne Danse
Il n’y aura désormais plus qu’une seule [...]
En direct de Nancy, notre critique.
Le Ballet de Lorraine fait se rencontrer la somptueuse rigueur de Trisha Brown et le foisonnement crépusculaire de Tatiana Julien.
Dans une soirée réalisant le grand écart entre deux époques, deux styles, douze danseurs et danseuses du Ballet de Lorraine s’emparent d’abord avec brio d’une superbe pièce de Trisha Brown : Twelve Ton Rose. Comme le suggère son titre inspiré du terme « twelve ton rows », la chorégraphe emblématique de la danse postmoderne américaine y joue du contrepoint avec des partitions dodécaphoniques d’Anton Webern, interprétées en direct pour l’occasion par l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine. Ensembles, duos et soli sobrement vêtus de rouge ou de noir s’enchaînent, soulignant tout le talent compositionnel de Trisha Brown, puisqu’au-delà d’une phrase créée spécialement pour la pièce, celle-ci y revisite son répertoire. Des lignes mouvantes se métamorphosent inlassablement en se déplaçant de cours à jardin, d’autres s’enroulent, passent de l’horizontal à la verticale, des vagues de danseurs venues des coulisses en déposent quelques-uns sur la scène avant de les reprendre, et c’est un perpétuel régal.
Un fourmillant déclin
Après un bref entracte, changement total de décors. Les vingt-cinq interprètes du Ballet de Lorraine sont cette fois convoqués pour Decay, mot valise qui signifie tout à la fois putréfaction, fléau ou décadence, et nouvelle création de Tatiana Julien. Sur une musique de Gaspard Guilbert qui étire sur 40 minutes le lamento Didon et Énée d’Henri Purcell que magnifia Pina Bausch dans Café Muller, ils explorent toutes les nuances du freinage, du ralentissement. Si on les découvre d’abord immobiles, vêtus d’un ensemble disparate de costumes du répertoire et de tenues d’échauffement, ils ne tardent pas à s’affaisser, avant de vaquer furieusement, lascivement ou joyeusement à leur entraînement. Quand l’un compte les pulsations du Sacre du Printemps, quatre autres s’amusent de la Danse des petits cygnes. Puis ils nous entraînent d’une liesse débridée à de violentes terreurs nocturnes, d’une fin de civilisation orgiaque à une mort lente et douce, dans une suite de tableaux dont certains sont d’une beauté presque picturale. Poursuivant le travail entamé avec Soulèvement puis AFTER, Tatiana Julien continue de dessiner une société crépusculaire. Elle prouve avec Decay sa grande maîtrise de la masse, des grands ensembles.
Delphine Baffour
Les 3 et 4 mars à 20h, le 6 à 15h. Tél. 03 83 85 33 11. Durée : 1h30 avec entracte.
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