La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Trois Soeurs

Les Trois Soeurs - Critique sortie Théâtre Paris L’Odéon-Théâtre de l’Europe
© Thierry Depagne Céline Sallette et Assaad Bouab, interprètes de Macha et Alexandre.

Théâtre de l’Odéon / d’après Anton Tchekhov / écriture et mes Simon Stone

Publié le 23 novembre 2017 - N° 260

Après un très applaudi Ibsen huis présenté l’été dernier lors du Festival d’Avignon, Simon Stone, artiste associé au Théâtre de l’Odéon, propose pour notre présent une libre adaptation des Trois Sœurs de Tchekhov. Une haute ambition, relativement réussie même si cet écho actuel de Tchekhov s’éloigne de l’universalité de l’écriture originale et affirme le désastre.

« Tchekhov fait commencer toutes ses pièces en indiquant qu’elles se déroulent dans le temps présent, et à cet égard je le prends au mot. » souligne Simon Stone. D’emblée, une ambition aussi radicale impose une très grande liberté dans la langue et la forme, repensées à l’aune de notre société et notre jeunesse, si souvent décrite comme manquant d’espoir et idéal. Ici, pas de petite ville de province languissante animée par les visites des officiers d’un régiment voisin, pas de paradis perdu évoqué à travers un cri d’espoir sans lendemain : « A Moscou ! ». Le point d’ancrage est plutôt le temps : Simon Stone installe les 11 personnages dans une de ces maisons de vacances familiales, où l’air que l’on respire est nourri des rites de l’enfance et d’un passé en commun. Les parents ne sont plus là (l’urne contenant les cendres du père traîne dans la cuisine), Irina fête son anniversaire et les préparatifs vont bon train. Comme dans le texte initial, les fêlures des personnages rendent les relations difficiles et l’avenir plus qu’incertain. Aucun horizon convaincant ne remplace Moscou. Entre le passé suspendu dans la mémoire et l’avenir difficile voire impossible à appréhender, la marge de manœuvre s’étiole, les ratages s’étalent au grand jour et la tragédie est prête à éclater. Lors des premières scènes, on craint fort que la pièce ne sombre dans un vaudeville moderne, avec son lot de bavardages, névroses, désespoir et vulgarité, vaudeville d’autant plus boboïsant que les protagonistes appartiennent quasi tous à une classe privilégiée, cultivée, accroc à l’alcool voire à la drogue et capable d’ironie acide. Or le sarcasme n’est pas le genre du médecin Tchekhov.

Le chaos contemporain imprègne l’écriture

Puis, étonnamment, grâce à une direction d’acteurs impeccable, grâce aux relations qui se déploient en échos à l’œuvre originale, la pièce passe un cap et laisse voir sous la superficialité des mots et la banalité du quotidien des enjeux humains profonds, reliés à la solitude, l’amour, le mariage, l’utopie, le renoncement, l’échec… Heroes de David Bowie fait bien sûr son effet. Simon Stone utilise la même scénographie que pour Ibsen huis, une maison tournante avec étage et vastes baies vitrées, laissant voir plusieurs pièces en même temps et permettant un jeu libre, au plus près du réel, quasi cinématographique, grâce aussi aux micros HF qui équipent les comédiens. Est-ce l’essence de la pièce tchekhovienne qui s’exprime ici ? Chacun jugera en toute subjectivité ce qu’il reconnaît en cette proposition plus frontale, plus tranchante, plus chaotique, plus prosaïque que l’écriture du médecin russe. Plus affirmée aussi car on ose dire et faire tellement plus de choses de nos jours. Il est évidemment impossible de reproduire au présent l’alchimie tchekhovienne, où l’intime résonne de manière si universelle, mais la transposition demeure intéressante. Renforcée par une contextualisation aiguë et reconnaissable, l’acuité remplace l’universalité : le gâchis est identique quoique plus évident, bien au-delà de la mélancolie. Il questionne, toujours et encore, le sens de la vie. Audacieux, Simon Stone fait à nouveau la preuve de son talent, avec une très bonne équipe de comédiens, dont notamment Amira Casar (Olga), Irina (Eloïse Mignon), Céline Sallette (Macha), Eric Caravaca (André), Laurent Papot (Nicolas).

Agnès Santi

A propos de l'événement

Les Trois Sœurs
du vendredi 10 novembre 2017 au vendredi 22 décembre 2017
L’Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l'Odéon, 75006 Paris, France

Du 10 novembre au 22 décembre 2017. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 2h35 avec un entracte.

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