Festival des cultures africaines
Cinq jours aux sons, aux mots et aux images [...]
Véro Dahuron et Guy Delamotte adaptent Les Frères Karamazov en se concentrant sur le personnage d’Aliocha ; ils offrent à d’intenses interprètes une partition scénique incandescente.
Gageure s’il en est, l’adaptation scénique des Frères Karamazov présente un certain nombre de défis, que l’équipe du Panta-théâtre relève haut la main. La longueur du roman et la complexité de son intrigue, d’abord ; la concaténation entre les histoires d’amour, les trajectoires psychologiques, l’enquête sur le meurtre du père et les considérations philosophiques sur la question du mal, ensuite ; l’ambiance à récréer, enfin, entre angoisse, dépression, hystérie et perversion, arrosée d’alcool et saupoudrée par la neige… En s’entourant d’artistes qui, chacun dans leur partie, excellent à évoquer les turpitudes de ces âmes aux prises avec le démon, et en équilibrant les apports de tous les arts de la scène, Guy Delamotte signe l’orchestration d’un spectacle magnifiquement maîtrisé. Cette adaptation du roman de Dostoïevski est centrée sur le personnage d’Aliocha, le plus jeune des Karamazov, devenu le pivot de cette fresque des déchirements. Jean Haas a composé un décor enneigé ; les lumières de Fabrice Fontal y dessinent des espaces de jeu qui s’ouvrent sur l’immense fond de scène, où sont projetées les images tournées en Russie avec les comédiens.
La complémentarité entre la vidéo et le jeu est remarquablement pensée, sans redondance ni bavardage : jamais les images, pourtant puissamment évocatrices, ne viennent affadir le jeu théâtral.
Eblouissant portrait de la tragédie humaine
Véro Dahuron, Catherine Vinatier, David Jeanne-Comello, Anthony Laignel, Gilles Masson et Timo Torikka (avec, à l’écran, Piotr Semak dans le rôle du père, et Laura Malmivaara dans celui de Lisa, la patiente amoureuse d’Aliocha) interprètent avec justesse les différents personnages de cette parabole effrénée et sanglante du combat avec le démon. Chacun est, tour à tour, tenté par le mal : l’amour devient trahison, la foi se parjure, la piété filiale tourne au meurtre, la fraternité est entachée de suspicion. Tous rejouent l’épisode évangélique de la tentation du Christ, et tous sombrent dans le mal ou la folie, dans la calomnie ou le reniement. Pour Dostoïevski, l’Eglise est l’acceptation de la puissance qu’avait refusée le Christ. En imaginant un Aliocha finalement tenté par l’assassinat du tsar, Guy Delamotte ne se contente pas de rêver une suite au roman. En faisant de son héros, apparemment le plus pur de tous, un terroriste politique prêt à accepter la puissance des armes, il scelle définitivement la victoire du Malin : Dieu est mort, tout est possible. Quel avenir pour un monde en pleine déréliction ? Les dernières images du spectacle, dans un flou rougeoyant, laissent une impression absolument sidérante d’alarme et de vertige.
Catherine Robert
Cinq jours aux sons, aux mots et aux images [...]