Dénommé Gospodin
Théâtre de la Colline / de Philipp Löhle / mes de Benoît Lambert
Publié le 20 avril 2013 - N° 209
A l’instar de Jean la Chance ou de Candide, Gospodin avance, de désillusions en renoncements. Benoît Lambert éclaire son chemin, dans un spectacle drôle et rondement mené par trois comédiens d’élite.
Gospodin coule des jours tranquilles entre sa femme et son lama. Mais Greenpeace lui enlève son animal, considérant que la cave de Gospodin n’est pas le biotope idéal pour cet immigré andain. Voilà qui fâche Gospodin. Et quand Gospodin se met en colère, il s’endort. Quid de la suite des aventures de cet antihéros farfelu ? Rêve ou réalité ? En faisant de Gospodin un narcoleptique constamment menacé par le sommeil, Philipp Löhle ouvre les possibilités scénographiques : sa pièce peut être lue comme un vigoureux appel au réveil des consciences ou comme un songe plaisant. La structure dramaturgique évite d’ailleurs de trancher, puisque la pièce avance par associations libres, de situations en situations plus rocambolesques les unes que les autres. La mise en scène de Benoît Lambert rappelle les topiques freudiennes. Un rideau, qui cache d’abord le fond de scène, finit par tomber, comme tombe le surmoi de Gospodin : les affects, les fantasmes, les pulsions envahissent le premier plan, car Gospodin n’a plus rien à faire des injonctions sociales et amicales. Il se libère et entend bien vivre selon les principes d’une éthique renouvelée.
Une drôlerie à l’arrière-goût amer
Cette morale a un seul et unique but : « prendre le libéralisme par les couilles ». Autrement dit, le castrer, le priver de sa puissance, en faisant en sorte de n’être plus victime de ses impératifs existentiels. Gospodin, comme Bartleby, « would prefer not to ». Plus de femme, plus d’amis, plus de meubles : il se laisse peu à peu dépouiller, résistant au consumérisme par l’abandon. Au point même de finir en prison, après avoir désespérément essayé de se débarrasser du magot, dont le hasard l’a fait dépositaire. Là, derrière les barreaux, Gospodin réalise enfin son but : « la liberté, c’est de ne pas avoir à prendre de décision ». Christophe Brault (subtil, fin et intelligent, comme toujours), incarne Gospodin en lui prêtant une allure de vieil adolescent revenu de tout sans être vraiment allé nulle part. La course de Gospodin est à peu près aussi folle que la proie qu’il poursuit, ce capitalisme consumériste qui autoalimente sa névrose, et auquel on ne peut résister que par l’aboulie et l’anorexie. Chloé Réjon et Emmanuel Vérité incarnent les autres protagonistes de cette parabole drolatique avec un pétulant entrain et un art consommé de l’interprétation. L’ensemble compose un spectacle désopilant, qui, au premier degré, celui de la fable, est franchement réjouissant. Reste le second degré, celui de l’analyse : là, l’amertume et l’inquiétude l’emportent. Dans cette société de pantins insatiables, n’y a-t-il donc plus rien à espérer que des lendemains qui déchantent ? Gospodin le suggère. Cynisme ou lucidité ?
Catherine Robert
A propos de l'événement
Dénommé Gospodindu mercredi 15 mai 2013 au samedi 15 juin 2013
Théâtre national de la Colline
15, rue Malte-Brun, 75020 Paris.
Du 15 mai au 15 juin 2013. Du mercredi au samedi à 21h ; mardi à 19h ; dimanche à 16h. Tél. : 01 44 62 52 52. Durée : 1h30. Spectacle vu au Théâtre Dijon Bourgogne.