La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Reines

Les Reines - Critique sortie Théâtre Ivry-sur-Seine Manufacture des Œillets
© Hervé Bellamy Les Reines

Manufacture des Œillets / de Normand Chaurette / mes Elisabeth Chailloux

Publié le 26 novembre 2018 - N° 271

Variation féminine autour de Richard III, Les Reines de Normand Chaurette offre à Elisabeth Chailloux et à ses six comédiennes l’occasion de dessiner un formidable chemin de traverse au cœur de l’œuvre de Shakespeare.

Loin du faste que suggère le titre, c’est par un lointain son de cloches et quelques phrases au milieu d’un plateau sombre que s’ouvre Les Reines. Après quoi, dans une robe ultra-courte davantage inspirée de l’univers du manga que de celui d’une cour royale, Marion Malenfant entame une danse endiablée en rollers sur la musique de Petite fille princesse des Rita Mitsouko. Variation féminine autour de Richard III, Les Reines du Québécois Normand Chaurette offre à Elisabeth Chailloux – ancienne co-directrice du Théâtre des Quartiers d’Ivry où la pièce a été créée la saison dernière – et à ses six comédiennes une riche et belle partition. Une écriture musicale et éclatée qui met le théâtre de Shakespeare sans dessus mais non sans dessous. Car c’est dans les coulisses de Richard III que Les Reines se fraient très librement un chemin. Sans craindre les anachronismes ni les mélanges de genres, en déplaçant la tragédie initiale vers un drame de la parole. Sans lien réel avec le pouvoir, le verbe est en effet tout ce que possèdent les femmes de Richard III et les deux personnages qui les accompagnent chez Normand Chaurette : Isabelle Warwick (Pauline Huruguen), sœur de la future reine Anne Warwick (Marion Malenfant), et Anne Dexter (Bénédicte Choisnet), sœur muette et manchote des rois Edouard IV et Richard III et de George, duc de Clarence.

Sous les jupes de Shakespeare

Nous sommes le 20 janvier 1483 et le roi Édouard s’apprête à rendre son dernier souffle. Nouvelle qui ne perturbe guère Anne Warwick, dont la patineuse Marion Malenfant fait un personnage à l’air déjà majestueux malgré sa queue de cheval et ses mimiques qui la rappellent à la cour d’école. Alors que le dispositif bifrontal où elle et les cinq autres actrices jouent leur drame tient davantage de la prison. Enveloppée par une brume épaisse, chacune nous ramène à sa manière à Richard III. Sophie Doll est une duchesse d’York dont l’apparente froideur cache mal une sensibilité exacerbée qui est le lot de toutes les héroïnes de la pièce. Anne Le Guernec est une reine Elisabeth entièrement soumise à la violence masculine, au point de laisser échapper ses deux enfants, présents sur scène sous la forme de fœtus-marionnettes en bocaux. Quant à Laurence Roy, elle campe une bouleversante vieille reine Marguerite qui trimballe une mappemonde géante convertie en coffre-fort, dont l’humour amer se veut bouclier contre la violence de la pièce dont elle est issue. Et dont ni elle ni personne dans Les Reines n’arrive à s’échapper. Sauf peut-être Anne Dexter, dont le silence éloquent finit par laisser place à des mots qui le sont tout autant. À une déclaration d’amour pour son frère George, assassiné au début de Richard III. Comment tuer Shakespeare ? (Les Presses de l’Université de Montréal, 2011), demandait Normand Chaurette dans un essai ? Impossible, répondent ces Reines. Et l’on s’en réjouit.

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Les Reines
du lundi 10 décembre 2018 au vendredi 21 décembre 2018
Manufacture des Œillets
1 Place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine

. Lundi, mardi, vendredi à 20h ; jeudi à 19h ; samedi à 18h ; dimanche à 16h. Tél. : 01 43 90 11 11.

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