Dança doente
Après Matadouro, De repente fica tudo preto [...]
Formidable idée que de reprendre cette œuvre majeure d’Alain Buffard. Ce spectacle s’insère dans l’événement que consacre le Centre National de la danse à cet immense chorégraphe, disparu en 2014, à l’occasion du dépôt de ses archives et de celles de sa compagnie.
Il est des spectacles qu’on n’applaudit pas. Comme on resterait sans voix devant l’irrémédiable. Les Inconsolés d’Alain Buffard est de ceux-là. Avec lui, c’est le retour de l’armée des ombres, de celles qui nous réveillent la nuit et s’oublient le jour. En bribes ressassées, on entend Le Roi des Aulnes, un lied de Schubert qui raconte une histoire de rapt d’enfant et d’incompréhension du père. On voit des revenants se mouvoir au ras des paupières de celui qui peine à trouver le sommeil. On voit des hommes pris dans les rets d’un désir hâtif. Les gestes rudes muer en tendresse à rebours. On est dans un présent d’après-coup comme le suggère si bien le texte de Goethe. Il est déjà trop tard, l’issue – fatale – était dans l’engrenage depuis toujours.
La nuit remue
L’image est trouble, troublante, stupéfiante. Elle flirte en permanence avec l’attirance perverse, la persécution pour rire… Mais il serait dommage de limiter Les Inconsolés à un sens unique. C’est une pièce qui nous remue, fouille nos terreurs les plus intimes, sonde les arrachements et les attachements de nos racines affectives, de nos désirs rincés par la peur, de la fureur d’aimer. Les Inconsolés est à ce titre une œuvre majeure et courageuse qui, au-delà d’une lecture simple, ose parler de « ravissement » et de la confusion du désir dans une sorte de théâtre de la cruauté – qui pourrait aussi bien être celui de l’enfance que celui des pires atrocités, et dont l’écho terriblement saisissant se répercute dans la phrase finale: « ça s’apprend ».
Agnès Izrine
à 20h30. Tél. 01 44 78 12 33. Durée : 1h30. Spectacle vu à la création, aux Subsistances, Lyon, janvier 2005.