Les Inconsolés
Formidable idée que de reprendre cette œuvre [...]
Après Matadouro, De repente fica tudo preto de gente et Batucada, inspirés de l’histoire et de la tradition du Brésil, c’est aujourd’hui du côté du Japon que se tourne Marcelo Evelin qui invente un fascinant processus de transformation hanté par la maladie et la mort.
Les premières performances de Tatsumi Hijikata, créateur du butô, s’appuient sur la fureur et l’âpreté, sur la démesure et la violence. Il révoque toute image euphorique du corps, découvrant sa part monstrueuse, sale, ténébreuse. Cette « danse du corps obscur » flirte avec un érotisme androgyne et fait retour aux anciens rites shintô voire au chamanisme. C’est à cette source que le chorégraphe brésilien Marcelo Evelin a été se baigner. Les dix danseurs (dont Marcelo Evelin) viennent sur scène exposer une gestuelle qui se raréfie et frôle l’invisible, allie l’abject et le sacré. Elle se dérobe aux regards par un jeu subtil d’ombres d’où émerge une intense présence. Dança doente, « danse malade », est aussi un titre dérobé à Hijikata dont la dernière œuvre s’appelait : La danseuse malade.
Danse macabre
Malade, car puisant son inspiration gestuelle dans des tressautements, des raidissements, des hésitations, et finalement des tremblements qui jouxtent la transe. Malade, aussi, car la sexualité y est traitée comme littéralement « ob-scène » au sens où tout se joue en arrière-plan, derrière un rideau occultant qui barre la vue du spectateur jusqu’au mi-corps des interprètes. D’autant que l’anatomie de chacun est soulignée, soit par des collants noirs fins et transparents, soit par de magnifiques drapés qui dénudent les corps plus qu’ils ne les habillent. Plus la pièce se déroule sur un rythme ultra lent, plus la sexualité devient insistante et crue – jusqu’à d’ailleurs être affirmée frontalement dans une scène frisant le malaise. L’attrait de ce spectacle tient sans doute d’abord à ses défauts. On finit par se laisser prendre à son côté désordonné, mal maîtrisé, un peu flou, trop long sûrement, un peu comme une traversée maritime où le temps vire à l’immobilité illusoire. Mais la dernière image, à elle seule, suffirait à le sauver.
Agnès Izrine
Lun., jeu. et ven. à 20h, sam. à 18h, dim. à 16h. Tél. : 01 41 32 26 26. Durée : 1h30. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.