Le Crocodile trompeur
Certainement l’un des spectacles les plus [...]
Christian Esnay et sa compagnie Les Géotrupes poursuivent leur chemin sur les terres d’un théâtre pensé pour le plus grand nombre. Au sein d’un espace nu, ils signent une version à la fois farcesque et contemporaine des Fourberies de Scapin.
En une heure et quarante minutes, tout est joué. De manière ardente, alerte, dans un face-à-face permanent avec le public. Avec, en creux de chaque réplique, de chaque situation, un désir de partage avec les spectateurs. Un partage par le rire. On pourrait dire que Christian Esnay a élaboré, pour cette nouvelle création, une représentation épurée, sans gras, s’il ne s’agissait ici de donner corps à toutes les pantalonnades des Fourberies de Scapin. Hauts cris, œillades, cascades d’exaltations et de doléances… Les dix personnages de la pièce apparaissent, c’est vrai, en costumes contemporains, au sein d’un espace scénique à la nudité radicale, mais le projet des Géotrupes n’est pas de présenter une version aride et distanciée de la comédie de Molière. Bien au contraire. Fidèle aux principes qui l’ont amené à créer sa compagnie en 2002 (« concrétiser l’accessibilité au théâtre pour le plus grand nombre »), le comédien et metteur en scène, qui interprète lui-même le rôle de Scapin, centre cette proposition sans décorum sur un théâtre de texte, de geste, d’adresse. Un théâtre ramené à sa plus simple expression, qui investit pleinement le registre du comique de farce.
Mobiliser l’humanité la plus totale
« La vertu de la farce, explique le fondateur des Géotrupes, est de mobiliser, dans le rire le plus éclatant, l’humanité la plus totale. » A la tête d’une troupe de sept comédiens (Belaïd Boudellal, Pauline Dubreuil, Gérard Dumesnil, Rose Mary d’Orros, Georges Edmont, Jacques Merle), Christian Esnay dessine à grands coups de pinceaux la cruauté des uns, la candeur des autres, la bouffonnerie et l’irrévérence qui viendront contrarier l’ordre établi des conventions sociales. Tout cela se pare des couleurs les plus vives, d’une bonne humeur communicative, sans pour autant déclencher tous les rires qu’aurait pu laisser envisager une telle proposition. Car, assez paradoxalement, ce n’est pas la dimension comique de ces fourberies-là qui touchent le plus, mais la grande clarté qui s’en dégage. Projetés hors de leur XVIIème siècle, Scapin, Léandre, Octave, Géronte, Argante, Hyacinte, Zerbinette…, confèrent à leurs histoires d’amour, d’argent et de famille une forme d’évidence contemporaine. « L’ici et maintenant » qu’ils font naître déplace notre regard, notre écoute, et nous donne l’impression de redécouvrir la pièce de Molière.
Manuel Piolat Soleymat