La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Les Bacchantes

Les Bacchantes - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de l'Epée de bois
Bernard Sobel © H. Bellamy

Théâtre de l’Epée de Bois / texte Euripide / mes Bernard Sobel
Entretien / Bernard Sobel

Publié le 20 décembre 2017 - N° 261

Pour sa dernière création subventionnée par l’Etat, Bernard Sobel ausculte l’ultime pièce d’Euripide. Un retour aux origines du théâtre pour tenter de mieux comprendre le monde d’aujourd’hui.

 « Les Bacchantes sont un outil qui permet au théâtre de penser la rupture anthropologique que nous vivons »

Pourquoi avez-vous choisi de monter Les Bacchantes aujourd’hui ?

Bernard Sobel : Comment dire le chaos spirituel, intellectuel, dans lequel nous vivons aujourd’hui par rapport à tout ce qui constituait nos valeurs ? Comment faire avec tout ce qui nous arrive ? Je pense que nous vivons une rupture anthropologique où se joue le destin de l’espèce humaine. Elle est à la croisée des chemins : comme d’autres espèces qu’elle fait disparaître, elle-même peut disparaître. C’est exactement la position dans laquelle se trouvait le vieil Euripide. Il était à une rupture anthropologique de l’histoire de la Grèce, et il était, comme tous les grands dramaturges grecs, un citoyen. Il avait donc un rôle à jouer dans la cité. Il ne s’agissait pas de donner des leçons mais d’aider à penser ce que ses concitoyens vivaient. Il est difficile de trouver un outil qui permette au théâtre de jouer sa fonction, c’est-à-dire qui soit à même de donner les possibilités de penser cette rupture. Dans le désarroi dans lequel je suis, le poème Les Bacchantes me semble tenter de dire comment on peut être utile. Pour être paradoxal jusqu’au bout, je dirais que pour nous, en Occident aujourd’hui, cet outil de pensée que représente Les Bacchantes correspondrait aujourd’hui à En attendant Godot. Beckett essaie de dire ce qu’est un animal humain parlant à un moment donné de notre histoire.

En quoi consistent ces ruptures anthropologiques ?

B.S. : La nôtre, c’est ce qu’on entend tous les jours : le big data, etc. Notre village, notre pays, c’est l’ensemble du globe, alors qu’à l’époque d’Euripide, tous les problèmes étaient concentrés autour de la place d’un village, on pouvait donc aller au bout de toutes les questions. Euripide écrit Les Bacchantes en exil, où il peut jeter un regard en arrière sur le siècle miraculeux de la civilisation grecque avec sa beauté, ses statues… Or la guerre, les massacres reprennent, et il essaie de déciller les yeux de ses contemporains pour qu’ils aient le courage d’affronter cette vérité : le destin de l’homme est par essence tragique. Il faut souligner que la pièce s’intitule Les Bacchantes et non Agavé, Cadmos ou Penthée. Les bacchantes sont le représentant de la pensée d’Euripide qui avoue ne pas savoir au juste ce qu’il faut faire, quelle attitude avoir. Mais il a un devoir de citoyen et il essaie de le remplir.

De quoi Les Bacchantes serait l’allégorie ?

B.S. : Il faudrait peut-être considérer Les Bacchantes comme un procès dans lequel sont discutés des types de comportements, des types de gouvernements, qui vont du plus profond de la psychanalyse jusqu’au devoir de l’homme qui a la responsabilité du pouvoir. Ce poème est comme un diamant où tout est concentré. Il y a de la part d’Euripide une conscience très profonde que la particularité de l’animal humain parlant, c’est d’être un animal qui vit dans l’histoire, un animal qui vit au plus profond et au plus superficiel de lui-même des changements continuels. Le fait de changer sans arrêt, cela a quelque chose de tragique.

Comment traduirez-vous cela sur le plateau ? Y aura-t-il une actualisation ?

B.S. : Non, nous allons essayer d’utiliser le vieil outil du théâtre comme un lieu de procès, un lieu de débat. Le théâtre est une pratique où celui qui regarde – le spectateur –, ne peut pas être considéré seulement comme un consommateur. Le théâtre n’est pas une chose à consommer, c’est une chose où le spectateur est interpellé dans son être même : il est acteur et confiance est faite dans son intelligence. Cela rejoint cette citation de Diderot à propos de la tâche du dramaturge : « Ô poètes dramatiques ! L’applaudissement vrai que vous devez vous proposer d’obtenir, ce n’est pas ce battement de mains qui se fait entendre subitement après un vers éclatant, mais ce soupir profond qui part de l’âme après la contrainte d’un long silence, et qui la soulage. Il est une impression plus violente encore, et que vous concevrez, si vous êtes nés pour votre art, et si vous en pressentez toute la magie : c’est de mettre un peuple comme à la gêne. Alors les esprits seront troublés, incertains, flottants, éperdus ; et vos spectateurs, tels que ceux qui, dans les tremblements d’une partie du globe, voient les murs de leurs maisons vaciller, et sentent la terre se dérober sous leurs pieds. »

Vous avez souvent monté Brecht. Que pensez-vous des mises en scène de ses pièces aujourd’hui ?

B.S. : Je ne saurais pas vous répondre, c’est difficile ceux qui viennent après nous… Mais je dirais que je suis plus heureux de travailler avec ce poème des Bacchantes qu’avec un poème de Brecht aujourd’hui, parce qu’il me semble qu’Euripide est plus conscient du problème métaphysique devant lequel on est. On ne peut pas faire reproche à Brecht d’avoir tenté de dire que tel type de société était meilleur qu’un autre. Mais à la question : « qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? », je ne peux pas répondre. On fait comme on peut. Je suis fidèle à Babeuf, j’essaie toujours d’être communiste, mais c’est au jour le jour.

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Les Bacchantes
du jeudi 11 janvier 2018 au dimanche 11 février 2018
Théâtre de l'Epée de bois
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris, France

Du jeudi au samedi à 20h30, le samedi et le dimanche à 16h. Relâche les lundis, mardis, mercredis. Tél. : 01 48 08 39 74. Places : 10 à 20 euros.

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