La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Gros Plan

L’énigmatique Monsieur Lupu

L’énigmatique Monsieur Lupu - Critique sortie Classique / Opéra Lyon Auditorium-Orchestre National de Lyon
Le pianiste Radu Lupu

LYON / PARIS / PORTRAIT

Publié le 22 avril 2018 - N° 265

Le grand pianiste roumain Radu Lupu est prochainement l’invité de l’Orchestre national de Lyon dans le Concerto pour piano n° 3 de Beethoven avant un récital Schubert à la Philharmonie de Paris.

Il y a quelque paradoxe à vouloir parler d’un artiste aussi discret. Antipode des tempéraments bruyants, bavards et prétentieux, Radu Lupu est plutôt du genre à fuir la presse, les questions. « Je n’ai rien à dire d’intéressant » ; « Il n’y a que la musique » : derrière l’abstentionnisme, on sent la volonté latente de se concentrer sur l’essentiel, de se passer des mots. Son art va pourtant le condamner au succès. Pianiste à racines, sa Roumanie natale lui a tout appris. Mais le voici qui vit en Suisse, non loin des bords du Léman. Encore un pour qui ce pays à la légendaire discrétion joue ce rôle fondamental de zone de silence et de lieu de recueillement entre les concerts. Corollaire obligé : une approche olympienne de la musique, nullement assujettie à un quelconque vérisme historique. C’est qu’un récital de Radu Lupu ne s’écoute pas de la manière à la fois plurielle et discontinue dont on écoute un concert traditionnel, où l’attention saute de détail en détail ; sitôt qu’il commence à jouer, le pianiste roumain capture nos sens en une expérience proche de l’hypnose. Jamais rien de brusqué ni de forcé, juste ce qu’il faut de balancement pour que la musique progresse. Qui donc soupçonnerait le plus rêveur des pianistes chez cet homme énigmatique, inaccessible, et avare de gestes ? De tous les « grands » qui parcourent les scènes du monde, Radu Lupu est peut-être le seul dont on soit tenté de se dire que s’il n’avait pas été pianiste, il n’aurait sans doute pas été musicien du tout, tant son rapport aux œuvres semble immédiat : « Quand j’y vois clair dans une œuvre, les mains exécutent automatiquement l’idée que je m’en fais. C’est comme si j’étais mon propre chef d’orchestre, complètement détaché, loin de mes doigts… Ils sont mes accessoires de jeu que je commande. Je les dirige », déclarait-il en 1981. Pour cette raison, le pianiste préférera toujours la chaise au tabouret, afin de pouvoir jouer le dos bien calé contre le dossier.

Profondeur de vision

Nécessaire distance entre le corps et les mains qui lui permet de se détacher des contingences techniques pour ne se concentrer que sur la musique produite. Il y a des compositeurs qui appellent irrésistiblement certains artistes. Pour Radu Lupu, ce sera Schubert, auquel il consacre son prochain récital à la Philharmonie (le 11 juin). Moments musicaux, impromptus, sonates : son jeu épouse le cours de cette musique où la notion d’écoulement du temps est primordiale. Dans la moindre de ses tenues, c’est toute la ligne horizontale des œuvres que l’on entend ; grand arc impondérablement tendu, nourri par un souffle inépuisable et tranquille, liquide, avec cette simplicité décidée qui est celle de l’évidence. Enfin, ne soyez pas étonnés si les tempi de Radu Lupu vous paraissent lents : seule une lente et patiente décantation du propos permet d’atteindre une telle profondeur de vision. En sa présence, l’attention ne s’évade pas vers une brillance momentanée, la vérité essentielle du texte est sous nos yeux. Un peu comme s’il avait un jour refermé ses partitions à jamais et que la nature y avait peu à peu repris ses droits.

Julien Hanck

A propos de l'événement

L’énigmatique Monsieur Lupu
du vendredi 1 juin 2018 au samedi 2 juin 2018
Auditorium-Orchestre National de Lyon
149, rue Garibaldi, Place Charles-de-Gaulle, Lyon 3.

Vendredi 1er juin à 20 h et samedi 2 à 18h.

Tél. 04 78 95 95 95. Place s : 13 à 58 €.

 

Philharmonie, 221 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris. Lundi 11 juin à 20h30. Tél. : 01 44 84 44 84. Places : 10 à 85 €

Œuvres de Schubert : Moments musicaux op. 94 - D 780 ; Sonate en la mineur, op. 143, D 784 ; Sonate en la majeur D 959.

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