Caen Amour
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Avignon / 2016 - Entretien / Coraly Zahonero
Égérie contestataire, courtisane de chair et d’âme, écrivaine et peintre éprise de liberté, Grisélidis Réal revendiquait la prostitution comme acte révolutionnaire. Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, donne vie à cette parole émancipée, profondément humaniste, pour ouvrir les cœurs et les esprits.
Grisélidis Réal fascine par sa personnalité et son destin. Pourquoi en faire un personnage de théâtre ?
Coraly Zahonero : Pour faire entendre sa parole. Son métier lui a ouvert l’intimité des hommes, au plus près de leur vérité profonde, et lui a donné une vision de l’humanité d’une justesse bouleversante. Face aux mauvais coups de la vie, elle a affronté la réalité sans baisser les yeux, sans se sentir victime, et fait montre d’un courage personnel qui lui a permis de surmonter sa situation, de la sublimer. Elle a fait de la prostitution, d’abord subie, un art, une science et un humanisme.
« C’est une alchimie mystérieuse entre elle et moi, née de l’écoute de ce que j’éprouvais en tant que femme. »
La France vient de voter la pénalisation des clients. Comment la parole de Grisélidis résonne-t-elle aujourd’hui ?
C. Z. : Grisélidis Réal défendait le droit à la dignité de ses « sœurs de trottoirs » et la reconnaissance de ce que la société leur doit au regard de la misère et de la solitude qu’elles soulagent. Elle pratiquait une prostitution « artisanale » où l’échange avec le client reposait sur la relation humaine et la compassion, loin des réseaux proxénètes et de l’esclavagisme sexuel qui sévissent aujourd’hui. Les partisans de la répression dénoncent la marchandisation du corps par la vente d’un acte sexuel. Pourtant, ne soyons pas hypocrites, ce commerce existe sous forme de troc dans bien des mariages. Pour préparer cette création, j’ai rencontré des prostituées qui, de par leur histoire personnelle, ont un rapport au sexe différent et qui se sentent belles, utiles, grandies même, quand elles exercent leur métier. Mon féminisme passe par le respect de ces femmes.
Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
C. Z. : Durant quatre ans, j’ai lu tout ce qui a été publié d’elle et sur elle, écouté des émissions de radio et de télévision, consulté des archives personnelles que ses enfants m’ont confiées. J’ai peu à peu dessiné un puzzle pour élaborer une adaptation théâtrale.
Quel chemin vous a mené jusqu’à elle pour l’incarner ?
C. Z. : C’est une alchimie mystérieuse entre elle et moi, née de l’écoute de ce que j’éprouvais en tant que femme, de ce qui résonnait chez moi, notamment quand elle évoque les blessures, la résilience… Grisélidis fascine non seulement par son propos mais aussi par la façon, très singulière, de dire les mots, qui tient à une manière de les articuler, comme au scalpel. Je n’ai pas cherché à l’imiter, je suis allée vers elle.
Entretien réalisé par Gwénola David
à 18h15, relâche les jeudis. Tél. : 04 32 76 02 79.
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