Le Théâtre Déjazet réimaginé par Jean-Louis Martinelli
Entretien / Jean-Louis Martinelli
Théâtre Déjazet
Publié le 27 septembre 2017 - N° 258
C’est là qu’il a présenté sa mise en scène de L’Avare en 2015. Suite à cette création, le propriétaire du Théâtre Déjazet, Jean Bouquin, a confié à Jean-Louis Martinelli une carte blanche de programmation de deux saisons. L’ancien directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers nous livre les grandes lignes de cette collaboration.
Quel projet théâtral sous-tend votre mission de programmation du Théâtre Déjazet ?
Jean-Louis Martinelli : Tout d’abord, je dois dire que lorsque Jean Bouquin m’a parlé pour la première fois de cette carte blanche, je me suis dit que je n’avais plus envie de faire ça, que je voulais profiter d’espaces de liberté, travailler autrement… Et puis, en réfléchissant, j’ai réalisé que le Théâtre Déjazet pouvait justement être un espace de liberté. J’ai donc échangé avec Jean Bouquin pour que l’on s’accorde sur ce que l’on pouvait faire ensemble. Je lui ai proposé une programmation qui s’appuie essentiellement sur des compagnies de théâtre public. Je dois préciser qu’il m’a laissé une totale liberté de choix. Et il a accepté les principes de fonctionnement que j’avais formulés au départ de nos discussions.
Quels étaient-ils ?
J-L. M. : Premièrement, que les spectacles soient joués longtemps, c’est-à-dire pour la plupart d’entre eux une cinquantaine de fois. Si l’on veut que les créations laissent une trace dans l’espace public, qu’elles puissent être l’occasion de débats, de rencontres, et qu’elles trouvent de façon naturelle un public le plus large possible, je veux dire sans grands moyens de communication, il faut pouvoir jouer longtemps. Cette longévité a également des conséquences esthétiques sur l’art de l’acteur. Ce n’est en effet que sur la durée que les interprètes peuvent parvenir à la pleine maîtrise de leur art. Par ailleurs, dans le monde dans lequel nous vivons, où il y a une accélération permanente du temps, une obsolescence des œuvres de plus en plus rapide, proposer aux artistes de jouer durant deux mois dans un théâtre correspond à une volonté de ralentissement, une volonté de se remettre à prendre du temps… Et puis, le second grand principe sur lequel Jean Bouquin et moi nous sommes mis d’accord, c’est que le prix des places soit comparable à celui pratiqué dans les théâtres publics.
« Ce n’est que sur la durée que les interprètes peuvent parvenir à la pleine maîtrise de leur art. »
Comment avez-vous composé cette première saison ?
J-L. M. : J’ai travaillé de façon très intuitive, en contactant des artistes qui me sont relativement proches. Je n’ai pas essayé d’aller faire un marché de ce qui serait à la mode, d’écarter ce qui ne le serait pas… Cette saison 2017/2018 s’appuie sur deux axes. D’une part, des créations jamais programmées à Paris (ndlr, Un mois à la campagne, mis en scène par Alain Françon ; Le Malade imaginaire, mis en scène par Michel Didym ; Surtout, ne vous inquiétez pas, mis en scène par Yvo Mentes avec des élèves du Conservatoire ; Nénesse, mis en scène par Jean-Louis Martinelli). D’autre part, des reprises de spectacles qui méritent, de mon point de vue, d’être vus par davantage de personnes (ndlr, King Kong Théorie, mis en scène par Vanessa Larré ; Ceux qui restent, mis en scène par David Lescot ; Und, mis en scène par Jacques Vincey).
En janvier prochain, vous allez vous-même créer Nénesse, d’Aziz Chouaki, un auteur dont vous avez mis en scène plusieurs textes. Qu’est-ce qui vous lie à cette écriture ?
J-L. M. : Je crois que ce qui m’intéresse avant tout chez lui, c’est la langue qu’il déploie. Sa façon de dynamiter la syntaxe et, ainsi, de donner un coup de pied au réel. Cela, tout en prenant comme champ d’expérience des personnages fracassés par l’histoire. Ce qu’on voulait aborder avec Nénesse (ndlr, cette pièce est le fruit d’une commande passée à Aziz Chouaki par Jean-Louis Martinelli), c’est l’univers de ceux qui succombent à des pensées réactionnaires et radicales. Il ne s’agit pas, bien sûr, d’offrir une tribune à de telles pensées, mais de produire une farce politique sur ce sujet-là. Le personnage de Nénesse est une sorte de Falstaff, un homme outrancier, raciste, misogyne, homophobe… Pour trouver un moyen de subsistance, il installe un container dans son appartement qu’il loue à deux personnes qui n’ont pas de papiers. Cette farce est évidemment excessive. Elle déclenche un rire dont on pourrait avoir honte : un rire de l’horreur.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat
A propos de l'événement
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