Le Festival d’Avignon présente deux pièces de l’artiste espagnole Angelica Liddell, directrice de l’Atra Bilis Teatro, qui définit son travail à la poésie crue et violente comme une « résistance civile ».
Atrabilaire à l’image de cette humeur noire venue de la rate, Angelica Liddell a choisi de mettre ses créations sous l’égide de ce fluide épais et mélancolique pour marquer la prédilection de ses investigations artistiques : la souffrance intime et collective, miroir l’une de l’autre. Guidée par la compassion, elle écrit la douleur des autres à partir de la sienne, immigrés clandestins échoués morts ou vifs sur les plages du sud de l’Espagne dans Et les poissons partirent combattre les hommes, ou combattants désespérés et humiliés dans une ville à feu et à sang dans Belgrade. Angelica Liddell, auteure, metteure en scène et interprète de ses propres créations, fait de la scène et du corps les lieux d’expression de cette horreur qui dépasse les mots. Un corps parfois soumis à rude épreuve, malmené, tourmenté, taraudé : « Le corps engendre la vérité. Les blessures engendrent la vérité. », dit-elle à propos de ses spectacles qui transforment l’horreur pour faire de l’acte théâtral un geste de survie en faisant violence au texte jusqu’à le détruire, le fragmentant et l’étirant dans le temps de l’acte spectaculaire.
Le meurtre dans tous ses états
Le Festival d’Avignon accueille deux créations de cette artiste originale : La Casa de la fuerza (La Maison de la force), et El año de Ricardo (L’Année de Richard). La Maison de la force s’ouvre avec ce constat : « Aucune montagne, aucune forêt, aucun désert ne nous délivrera du mal que les autres trament à notre intention. » Dans ce spectacle en rose et noir, six femmes habitent la scène pour dire la difficulté d’être femme quand la relation à l’autre devient rapport de force, humiliation quotidienne, cruauté. Ces femmes rêvent de partir pour le Mexique au risque du « féminicide » qui s’y pratique et qui saigne les femmes, épuise, convulse et marque leurs corps. Les confessions intimes alternent avec les hurlements de douleur ou de colère. « Dans La Maison de la force, le défi est de me survivre à moi-même, explique Angélica Liddell. Pas de médiation, pas de personnage. Rien que la pornographie de l’âme ». Dans L’Année de Richard, émerge et se donne à voir le monstre, inspiré du Richard III de Shakespeare. Dans un traitement excessif et paroxystique de la voix et un traitement baroque et exhibitionniste de la chair, elle ausculte les excès du pouvoir, les abus de la tyrannie, la servilité de l’individu et les bassesses de la société. Le fléau de l’Angleterre, pied-bot né les crocs en avant, fouille les contradictions de la démocratie et les méfaits du pouvoir fondés sur la peur et l’égoïsme des faibles. Deux spectacles coups de poing où la frénésie à jouer interroge les ambiguïtés de l’humain et la menace de l’inhumain.
Festival d’Avignon. La Casa de la fuerza (La Maison de la force), spectacle en espagnol surtitré. Du 10 au 13 juillet au Cloître des Carmes. El año de Ricardo (L’Année de Richard), spectacle en espagnol surtitré. Du 17 au 19 juillet à la Chapelle des Pénitents blancs. Textes et mises en scène d’Angélica Liddell. Tél : 04 90 14 14 14.