La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Le Tartuffe ou l’Hypocrite, de Molière, mise en scène Ivo van Hove.

Le Tartuffe ou l’Hypocrite, de Molière, mise en scène Ivo van Hove. - Critique sortie Théâtre Paris Comédie-Française
Le metteur en scène Ivo van Hove. © Jan Versweyveld

Comédie-Française / de Molière / mise en scène Ivo van Hove

Publié le 17 décembre 2021 - N° 295

C’est l’un des grands rendez-vous des célébrations organisées par la Comédie-Française pour commémorer les 400 ans de la naissance de Molière. La mise en scène, par Ivo van Hove, de la première version du Tartuffe, créée devant Louis XIV à Versailles en 1664 et immédiatement interdite. Une version en trois actes, reconstituée par l’historien du théâtre et des formes littéraires Georges Forestier, qui sera pour la première fois jouée Salle Richelieu par la troupe de la Comédie-Française.

Comment avez-vous découvert la première version du Tartuffe ?

Ivo van Hove : Je l’ai lue lorsque Eric Ruf m’a demandé de penser à un spectacle que je pourrais mettre en scène pour célébrer les 400 ans de la naissance de Molière. J’ai effectué des recherches et je suis tombé sur Le Tartuffe ou l’Hypocrite (ndlr, la version modifiée de la pièce, créée en 1669, s’intitule Le Tartuffe ou l’Imposteur), que je ne connaissais pas et qui m’a beaucoup plu.

En quoi cette première version diffère-t-elle de la seconde ?

I.v. H. : D’abord, la première version est une pièce en trois actes, alors que la version de 1669 en comporte cinq. J’ai envie de dire que, si l’on compare la version courte à la version longue, à la fois on gagne des choses et à la fois on en perd. On perd le deuxième acte, c’est-à-dire toute la relation entre Marianne et Valère, ces deux personnages n’existant pas dans la version de 1664. On perd également la résolution, le cinquième acte, avec l’intervention de Monsieur Loyal et de l’exempt du roi, ce qui pour moi est une bonne chose car il paraît évident que Molière a écrit ce cinquième acte sous la pression du roi. Je n’ai jamais aimé ce final qui arrive comme un deus ex machina, comme une résolution plaquée, absolument artificielle.

Et d’un autre côté que gagne-t-on ?

I.v. H.: On gagne une chose fondamentale : la relation entre Tartuffe et Elmire (ndlr, épouse d’Orgon), qui occupe le centre de la pièce. C’est l’une des lignes essentielles de cette première version, une ligne d’ailleurs très subversive. On gagne également le fait qu’il n’y ait pas de réelle résolution. Le Tartuffe ou l’Hypocrite est une version qui, révélant des trous, des points non élucidés, ouvre la porte à toutes sortes de réflexions et d’interprétations. J’aime beaucoup ça. Cette pièce est comme une bombe à retardement. Une bombe qui va exploser assez vite car, avec seulement trois actes, le spectacle ne fera pas plus d’une heure trente.

« Tartuffe est un clochard, un homme totalement désargenté qui, avant d’arriver chez Orgon, faisait la manche devant les églises pour survivre. »

Quelle relation vous unit au théâtre de Molière ?

I.v. H. : C’est un théâtre que j’aime énormément, mais que je n’avais encore jamais mis en scène en langue française. Par le passé, j’ai créé Le Misanthrope à New York et à Berlin, ainsi que L’Avare à Hambourg et à Amsterdam. Je crois que l’une des raisons pour lesquelles ce théâtre me plaît tant, c’est que je considère les pièces de Molière avant tout comme des drames sociaux. C’est particulièrement vrai pour Le Tartuffe, dans lequel le mariage d’Orgon et d’Elmire, sa seconde épouse, n’est pas un mariage heureux.

Quel univers avez-vous imaginé pour votre mise en scène ?

I.v. H. : J’ai fait le choix de l’extrême contemporain. Les costumes situent les personnages dans la bourgeoisie parisienne d’aujourd’hui. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux ateliers de fabrication de costumes de la Comédie-Française qui sont uniques au monde. Je voyage un peu partout et je n’ai rencontré nulle part ailleurs un tel niveau de qualité et d’exigence. Ce qu’ils font est fabuleux. Cela n’existe dans aucun autre pays.

Vous avez inventé un petit prologue en introduction à votre spectacle. Pour quelle raison ?

I.v. H. : Pour que l’on saisisse, dès le début de la représentation, qui est vraiment Tartuffe. Tartuffe est un clochard, un homme totalement désargenté qui, avant d’arriver chez Orgon, faisait la manche devant les églises pour survivre. Il me semble très important de savoir cette chose-là pour parvenir à comprendre son comportement. Après le prologue, le spectacle prend la forme d’une expérience sociale qui cherche à déterminer ce qui se passe quand un mendiant est ainsi invité à entrer dans une famille.

« Je vis une véritable histoire d’amour avec la troupe de la Comédie-Française. »

Transposer Le Tartuffe dans notre époque est-ce, pour vous, une façon de dire quelque chose sur aujourd’hui ?

I.v. H. : Non, pas du tout. Je n’ai pas de message à délivrer. Comme l’a dit un jour Michael Haneke : pour les messages, il y a la poste ! C’est aux spectateurs de voir par eux-mêmes ce que la pièce peut signifier. Ce que je souhaite simplement, c’est créer avec les acteurs une représentation qui ouvre des horizons sur Molière. Ces horizons, bien sûr, auront des liens évidents avec des événements qui ont lieu de nos jours. La seule chose que j’ai envie de dire, c’est que je travaille pour faire en sorte que ce Tartuffe se situe dans une grande urgence par rapport à aujourd’hui.

Après Les Damnés et Electre / Oreste, Le Tartuffe ou l’Hypocrite est le troisième spectacle que vous mettez en scène à la Comédie-Française. Quel regard portez-vous sur cette troupe ?

I.v. H. : Un regard plein de respect et d’admiration. Je vis une véritable histoire d’amour avec la troupe de la Comédie-Française. Cela, depuis le début, depuis le premier jour des répétitions des Damnés. Entre nous, les choses sont évidentes. Un peu comme si je travaillais avec mes propres actrices et acteurs, à Amsterdam (ndlr, Ivo van Hove dirige l’Internationaal Theater Amsterdam depuis 2001). On me demande souvent si les acteurs de la Comédie-Française ont une spécificité qui les différencie des interprètes que je dirige ailleurs dans le monde. Je réponds toujours que non. Ce sont simplement de très grands comédiens, extrêmement travailleurs, très exigeants, qui donnent toujours le meilleur d’eux-mêmes, qui sont toujours habités par le désir de créer du grand théâtre.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Le Tartuffe ou l’Hypocrite
du samedi 15 janvier 2022 au dimanche 24 avril 2022
Comédie-Française
Place Colette, 75001 Paris.

En alternance. Matinées à 14h, soirées à 20h30. Le 15 janvier la pièce sera diffusée en direct au cinéma. Tél. : 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre