Le Silence de Molière
Théâtre de la Tempête / de Giovanni Macchia / mes Marc Paquien
Publié le 27 septembre 2016 - N° 247
Marc Paquien met en scène Ariane Ascaride et Loïc Mobihan dans l’adaptation scénique des confidences imaginaires d’Esprit-Madeleine, fille de Molière. Magnifique défense et illustration du théâtre !
Esprit-Madeleine Poquelin devait ses prénoms, comme la tradition le voulait alors, à son parrain et à sa marraine. Mais Esprit fut aussi son destin, voletant dans l’ombre et le souvenir de son père, condamnée par le choix du retrait, la haine de la scène et la détestation de la comédie, à n’être que le mémorial de l’Illustre Théâtre et le soupçon reclus des frasques de ses parents. Sœur de sa mère ? Fruit monstrueux de l’inceste dont on accusa son père ? L’enfant choisit l’ombre, fuyant l’aveuglante gloire et la scandaleuse profession des siens. Giovanni Macchia, écrivain et critique littéraire italien, a imaginé le dialogue entre la recluse et un jeune provincial, admirateur de Molière venu l’interroger sur le maître. Marc Paquien confie à Loïc Mobihan le rôle de l’enquêteur et à Ariane Ascaride celui de la fille silencieuse du grand homme. Au-delà de la seule anecdote scabreuse d’une naissance salie par la rumeur, le texte de Giovanni Macchia explore l’essence du théâtre, et Marc Paquien réussit – avec la subtilité qu’on lui connaît – à mettre en scène l’envers, les limites, les risques et, par conséquent, la possibilité du miracle théâtral.
Une leçon de théâtre
Le choix le plus judicieux de ce spectacle est sans doute d’avoir confié le rôle d’Esprit-Madeleine à Ariane Ascaride. La comédienne offre une noble simplicité à Esprit-Madeleine, dont la retraite n’a rien de la gloriole mortifère de Port-Royal ou de la minauderie éthérée de Saint-Cyr – les deux essaims où butina Racine, le bourdon courtisan. La fille de Molière choisit d’échapper au monde en regrettant de n’avoir pas pu être à la hauteur du désir de son père : dans l’ombre et le silence, par incapacité de partager la fièvre qui poussa sa famille sur scène, elle fut spectatrice obligée du génie, bien davantage que bâtarde de son géniteur. Ariane Ascaride réussit à signifier cette douloureuse incapacité avec une pudeur poignante. Comédienne incarnant celle qui refusa de l’être, elle avance au cœur d’un labyrinthe, chemine dans les confidences d’Esprit-Madeleine avec l’obstination fascinante de celle qui sait quel Minotaure est le théâtre. Elle guide le spectateur, évidemment renvoyé à l’élucidation de sa propre posture : qui sont donc ceux qui, dans le silence et dans le noir, viennent scruter les acteurs qui, chaque soir, rejouent le combat avec la mort ? On est spectateur, parce qu’on ne sera jamais capable d’être acteur ; on est voyeur impudent et pourtant transi devant le courage d’affronter le regard, les sarcasmes, les brûlots et les libelles ; on est Esprit-Madeleine pour n’avoir pas pu être Molière, puisque le génie ne se transmet pas plus qu’il ne s’hérite. Ariane Ascaride se tient exactement à ce point de fragilité cristalline : en incarnant avec une telle authenticité celle qui préféra ne pas jouer, elle procure au spectateur l’impression rarissime de faire partie du spectacle. Marc Paquien et ses comédiens offrent, avec cette pièce, non pas un cours sur Molière, mais une véritable leçon de théâtre !
Catherine Robert
A propos de l'événement
Le Silence de Molièredu vendredi 16 septembre 2016 au dimanche 16 octobre 2016
Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris, France
Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Du 16 septembre au 16 octobre 2016. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h30. Tél. : 01 43 28 36 36. Durée : 1h20.