La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Roi Lear

Le Roi Lear - Critique sortie Théâtre
Crédit photo J.M. Lobbé Légende : Le Fou, Kent, Pauvre Tom et Lear sur la lande. Le déchaînement de la nature et la folie des hommes se conjuguent pour dépouiller l’homme de son identité.

Publié le 10 décembre 2007

Le superbe poème de Shakespeare dans une mise en scène resserrée sur le jeu d’acteurs, avec un Dominique Pinon touchant dans le rôle du Roi et du père déchu.

Chez Shakespeare, le plateau accueille le plus souvent un théâtre de fous, qui laisse voir les errements de l’âme humaine avec une acuité et un sens dramatique exceptionnels. Le Roi Lear est peut-être l’une de ses pièces les plus émouvantes, car le cheminement initiatique de Lear, roi et père bientôt privé de tout, atteint une cruauté sans égale. Désireux de se retirer du pouvoir, il demande à ses filles de dire leur amour pour lui afin de déterminer leur dot. Les deux aînées jouent le jeu, mais pas Cordélia, au cœur cependant plus riche que ses paroles. Le Roi la bannit, ainsi que le fidèle Kent, tentant vainement de ramener le roi à la raison. La mise en scène de Laurent Fréchuret se concentre sur la direction d’acteurs, voix, corps, gestes, déplacements et lumières habitant rigoureusement l’espace, dans la nouvelle traduction de Dorothée Zumstein, très contemporaine par sa vivacité concise. Au centre de la vaste scène, symbole du pouvoir temporel, un château de terre à trois tours, une part pour chaque fille, royaume éphémère, fragile, promptement détruit d’un coup de main, ou plutôt d’un coup de tête d’un père colérique et vieillissant. La tragédie est en marche.

Des enjeux de pouvoir à la nudité de la condition humaine
Pour interpréter Lear, Dominique Pinon, que certains imaginent sans doute davantage dans le rôle du Fou, mais qui campe un Lear touchant, un Roi déchu, un homme déchu surtout, blessé par l’ingratitude de ses enfants, un petit bonhomme égaré, bien maladroit avec sa progéniture, presque absent à lui-même, dépouillé de tout repère et affirmant cependant son éperdu désir d’humanité. Ses compagnons d’infortune souffrent tout autant : Kent, Gloucester, père trompé par le fils bâtard Edmond, et Edgar, fils légitime calomnié, contraint à fuir et se cacher sous l’identité de Pauvre Tom. La deuxième partie de la pièce gagne en profondeur et en intensité, en se resserrant autour des personnages frappés par la folie, le dénuement et une amère lucidité. Du palais à la lande, des enjeux de pouvoir qui entraînent trahisons et complots à la nudité de la condition humaine, solitaire et décillée face aux éléments déchaînés, la mise en scène rappelle que ce monde est aussi le nôtre. Changements de costumes entre les deux parties, de l’historique au contemporain, orage déchaîné qui jonche la scène de morceaux de plastiques – et tempête surtout dans l’âme de Lear -, allusions aux sans-abris : autant de signes que la folie et la détresse des hommes demeurent d’actualité. Une mise en scène touchant à l’universel, dédiée au jeu d’acteurs et à l’artisanat du théâtre, avec des rôles masculins particulièrement réussis : Thierry Gibault (Kent), Philippe Duclos (Gloucester), Rémi Rauzier (le Fou)… Un monde sublime et tragique, à la fois social et existentiel, à « regarder avec les oreilles », comme le conseille Lear à Gloucester.
Agnès Santi


Le Roi Lear, de William Shakespeare, mise en scène Laurent Fréchuret, création au CDN de Sartrouville, le 4 décembre au Prisme, à Elancourt. Tél : 01.30.51.35.50 et les 6 et 7 décembre à 21H à L’Onde, à Vélizy-Villacoublay. Tél : 01.34.58.03.35. Pièce en tournée en France, voir sur www.theatre-sartrouville.com

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