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Théâtre - Critique

Le Radeau de la méduse

Le Radeau de la méduse - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe
Crédit : Jean-Louis Fernandez Contact : Le Radeau de la méduse, mis en scène par Thomas Jolly.

Odéon – Théâtre de l'Europe / de Georg Kaiser / mes Thomas Jolly

Publié le 29 mai 2017 - N° 255

Lors du dernier Festival d’Avignon où il a été créé, Thomas Jolly présentait son Radeau de la méduse non pas comme le spectacle de fin d’études de la promotion sortante du TNS, mais comme une création aboutie. La preuve avec cette reprise au Théâtre de l’Odéon.

On pense d’abord à la Méditerranée. Aux hommes et femmes qui s’y risquent et souvent s’y noient. Unique décor du Radeau de la méduse mis en scène par Thomas Jolly, la barque conçue par les scénographes Heidi Folliet et Cecilia Galli se situe pourtant ailleurs et en un autre temps : quelque part entre Angleterre et Canada, en 1940. À son bord, douze jeunes comédiens à la figure grimée. Des sortes de fantômes. Soient les élèves du Groupe 42 de l’école supérieure d’art dramatique du Théâtre National de Strasbourg, dont ce projet a marqué l’été dernier l’entrée dans la vie professionnelle. Inspirée de l’histoire d’un naufrage réel, la pièce de Georg Kaiser (1878-1945) leur offre une partition idéale pour évoquer l’actualité avec distance. Cela en incarnant une petite communauté avec ses codes et ses hiérarchies, tout en donnant consistance à des protagonistes singuliers. Avec chacun son langage, sa logique et surtout son degré d’ouverture à l’Autre. Car autant que les douleurs de l’exil, Le Radeau de la méduse met en scène les mécanismes de l’intolérance avec une subtilité qui lui permet de résister au temps. Thomas Jolly réussit donc avec cette pièce davantage qu’un travail de transmission. Grâce à une remarquable direction d’acteurs, il rend hommage à un texte fort, dont l’auteur fut très populaire pendant l’entre-deux-guerres avant de tomber dans l’oubli.

Douze enfants en colère

Bien qu’entassés dans leur canot pivotant, les comédiens déploient une gestuelle précise. Une chorégraphie d’automates rattrapés par la violence qu’ils espéraient au départ éviter de reproduire. Survivants du torpillage du navire qui était censé les conduire au Canada pour leur éviter la mort dans les bombardements, les passagers imaginés par Georg Kaiser tentent en effet au début de la pièce de s’inventer une éthique. Une humanité envers et contre tout. Mais derrière la brume qui rappelle l’atmosphère gothique des Henri VI et Richard III de Thomas Jolly, cet effort apparaît vite voué à l’échec. La découverte d’un petit garçon roux et muet caché dans l’embarcation fait en effet basculer le groupe dans la cruauté. Effrayés de se retrouver à treize, les enfants se divisent quant au sort du petit étranger. Leur christianisme commun n’y change rien, au contraire. Jugé maléfique selon une interprétation de la Cène, le chiffre en question révèle les tensions soigneusement dissimulées jusque-là. Thomas Jolly n’a guère besoin d’appuyer l’évidente résonance contemporaine de cette dérive religieuse : sous les traits de la jeune Emma Liégeois dans le rôle de Ann, la victoire de la haine dans ce Radeau de la méduse n’est pas sans faire penser à une frange de la jeunesse actuelle. Celle qui, pour des raisons diverses, bascule dans le radicalisme religieux.

 

Anaïs Heluin

A propos de l'événement

Le Radeau de la méduse
du jeudi 15 juin 2017 au vendredi 30 juin 2017
Odéon-Théâtre de l’Europe
place de l'Odéon, 75006.

Odéon – Théâtre de l'Europe, place de l'Odéon, 75006. Du 15 au 30 juin 2017, du mardi au samedi, le dimanche à 15h. Tel : 01 44 85 40 40. Durée de la représentation : 1h45. Vu au Festival d’Avignon 2016.

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