Ali Baba
Macha Makeïeff renouvelle le trésor des [...]
Portée à merveille par Jacques Weber, Laurent Stocker et Jean-Damien Barbin, la comédie de Labiche reste bridée dans une mise en scène classique.
« L’adultère, c’est-à-dire la volupté assaisonnée du crime… » lâche Ferdinand Martin d’un soupir humide, entre deux donnes de bésigue. Voilà longtemps que les ardeurs libertines roupillent dans l’embonpoint du quotidien et ne s’épanchent plus chez lui qu’en vagues regrets grisonnants. Bourgeois pansu et mari cocu, il se rêve d’héroïques ascendances et devise avec Agénor Montgommier, son compagnon de jeu et … l’amant de sa femme, qui lui ne songe qu’à quitter cette épuisante infidèle pour jouir sans remord de leur belle amitié. Démasquant son faux ami par un mauvais hasard, Ferdinand entreprend une vengeance « terrible » sous la badine de son cousin, tout juste débarqué de la pampa guatémaltèque et prompt aux fanfaronnades viriles : précipiter le traitre au fond de « la sublime horreur », c’est-à-dire les Gorges de l’Aar, creusées au milieu des monts suisses. Après bien des péripéties et complications, rythmées par les ébats sonores de jeunes mariés en voyage de noce, l’équipée s’achève par les retrouvailles du vieux couple, expédiant l’épouse importune dans les bras du gaillard exotique…
Jeu inégal des acteurs
Dans cette comédie mélancolique, écrite en 1876, au soir de sa vie d’auteur, Labiche renverse le triangle rituel du vaudeville. Ici c’est « un amant qui se met à aimer le mari et à ne plus aimer la femme. ». Se glisse derrière les cavalcades du genre une méditation sur l’éphémère des plaisirs sensuels qui s’étiolent quand jeunesse passe, sur le bonheur tranquille de la complicité masculine, les vanités du sexe et cet étrange désir qui fait tourner les têtes et le monde… Grand maître de la scène, l’Allemand Peter Stein semble cependant peu inspiré et ne fouille guère au revers des gravures d’Epinal, où les décors et costumes sont chiquement taillés. En ralentissant la mécanique certes usée des situations pour laisser sourdre le vide des existences, il perd aussi un peu de l’effroyable néant où se précipitent avec empressement ces bourgeois inconscients. Surtout les personnages sont simplement traités en discrète caricature, la gent féminine restant d’ailleurs coincée dans le registre de crétine artificieuse. Jacques Weber (Ferdinand Martin), Laurent Stocker (Agénor Montgommier) et Jean-Damien Barbin (Pionceux) échappent à la facétie et apportent heureusement la densité humaine qui donne sa puissance à la pièce.
Gwénola David