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Théâtre - Entretien

Ivan Van Hove met en Scène Marie Stuart et Antignone

Ivan Van Hove met en Scène Marie Stuart et Antignone - Critique sortie Théâtre Créteil Maison des Arts de Créteil
Le metteur en scène flamand Ivo Van Hove. ©Jan-Versweyvel

Publié le 24 février 2015 - N° 230

Hasard des calendriers, Ivo Van Hove présente en France deux productions, Mary Stuart de Schiller et Antigone de Sophocle, qui portent en scène la question du pouvoir politique et de son exercice. Le metteur en scène néerlandais livre son approche.

Comment abordez-vous le personnage d’Antigone, considérée habituellement comme une figure de la rébellion contre la tyrannie ?

Ivo Van Hove : Mettre en scène une tragédie grecque pose un défi artistique passionnant car deux écueils guettent : ramener la situation à un drame domestique ou la désincarner en un conflit d’idées abstrait. Il faut réussir à donner de l’humanité tout en transcendant l’individuel pour atteindre la dimension mythique. Après notre première rencontre, en 2012, à l’initiative du Barbican et du Théâtre du Luxembourg, Juliette Binoche et moi avons cherché une pièce pour notre première collaboration. Nous avons choisi Antigone de Sophocle. Ce qui nous a intéressés, c’est le geste d’Antigone, qui veut enterrer son frère Polynice malgré l’interdiction de Créon, non par conviction religieuse, rébellion contre la loi ou activisme politique, mais par instinct, par humanité. Elle se heurte à l’ordre rationnel, transparent, que tente d’imposer le roi Créon, pour mettre fin au chaos, aux atrocités perpétrées par la famille d’Oedipe et ramener la paix dans la cité. Dans cette pièce d’une extrême ambivalence, Sophocle montre que la société ne peut se réduire à des oppositions frontales entre les motivations individuelles et la raison d’État, entre l’émotion et la rationalité, entre le politique et l’éthique, entre la justice et la loi du sang. Il faut trouver une troisième voie…

« Le rôle du théâtre est de confronter le spectateur à ce qu’il ne comprend pas. »

Juliette Binoche interprète Antigone. Comment la menez-vous sur ce chemin ?

I. V. H. : En puisant dans le passé d’Antigone, notamment ce qu’elle traverse dans Œdipe à Colone, afin d’appréhender toute la complexité du personnage, qui porte le poids d’une tragédie familiale. Antigone est une femme en deuil, frappée par la mort de sa mère, de son père, de ses deux frères. Elle vit un profond bouleversement émotionnel. Créon doit également surmonter la mort de son fils Mégarée, sacrifié durant la guerre sur ordre de l’oracle pour sauver Thèbes. Comment un homme et une femme réagissent-ils face à la perte d’un être cher ? Cette tragédie a aussi des résonances existentielles. Juliette Binoche est une comédienne de forte trempe qui peut approcher ces états émotionnels extrêmes et faire entendre les multiples facettes du texte. Les images vidéo projetées sur le plateau donne à voir son univers imaginaire, relié à la nature, qui cogne contre le monde urbain, organisé, de Créon.

Mary Stuart, de Schiller, pose également la question du pouvoir et de son exercice.

I. V. H. : Cette pièce traite de la problématique du leadership. Deux conceptions s’opposent, incarnées par Mary Stuart, née reine d’Écosse et flamboyante prisonnière, et Elisabeth 1re d’Angleterre, puritaine et pragmatique, qui a conquis le trône aux dépens de sa cousine mais qui porte un projet politique pour son pays : l’une revendique d’avoir le pouvoir et l’autre de l’exercer. Schiller montre deux femmes qui affrontent la question ultime de la responsabilité politique : décider de la vie et de la mort d’une personne dans l’intérêt de l’État. Toutes deux ont bien conscience d’écrire l’Histoire et mettent leur destin en scène, Mary pour immortaliser sa décapitation, Elisabeth pour ne pas apparaître comme le bourreau de sa rivale. Ce drame évoque aussi la solitude du pouvoir, les servitudes de la politique et de l’opinion publique.

Le thème du pouvoir revient souvent dans vos spectacles. En quoi croise-t-il vos interrogations de citoyen et votre engagement d’artiste ?

I. V. H. : Il est l’enjeu majeur de notre époque et de notre avenir ! Pris dans le système politique actuel, dans leur conception et leur mode d’exercice du pouvoir, les dirigeants se révèlent aujourd’hui incapables de résoudre les conflits fondamentaux au cœur de la société. Les travaux de Martha Nussbaum, philosophe américaine, nourrissent beaucoup ma réflexion, notamment sa critique de l’omniprésence de la richesse comme mesure de la qualité de vie, sa vision de la justice et son approche des « capabilités ». Il faut réviser les outils utilisés pour définir les politiques publiques. Face à ces défis, le rôle du théâtre n’est pas de se positionner en réaction immédiate à l’actualité mais de confronter le spectateur à ce qu’il ne comprend pas, de montrer la complexité du réel et de provoquer le trouble, le questionnement.

Entretien réalisé par Gwénola David

A propos de l'événement

Mary Stuart et Antigone
du jeudi 26 mars 2015 au jeudi 14 mai 2015
Maison des Arts de Créteil
Place Salvador Allende, 94000 Créteil, France

Mary Stuart : du 26 au 28 mars 2015, à 20h. Maison des arts de Créteil, Place Salvador Allende, 94000 Créteil. Tél. : 01 45 13 19 19. Spectacle en néerlandais surtitré. Antigone : du 22 avril au 14 mai 2015, à 20h30, sauf dimanche à 15h, relâche lundi. Théâtre de la Ville, place du Châtelet, 75004 Paris. Tél. : 01 42 74 22 77. Spectacle en anglais surtitré.

A lire : Ivo van Hove : Introduction et entretiens par Frédéric Maurin, éditions Actes Sud – Papiers

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