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Avignon / 2013 - Entretien Anne-Marie Storme
Blonde, regard azur, svelte et vive… La fillette allemande encartée dans l’image exemplaire d’enfant, de jeune fille, d’épouse puis de mère parfaite un jour a découvert l’horreur du génocide et s’est réfugiée derrière la vitre de sa propre existence. L’auteure et metteuse en scène Anne-Marie Storme donne la parole à cette femme trop longtemps emmurée dans son propre silence, celui des autres, de sa famille, de son pays.
Quel silence avez-vous rompu pour écrire ce texte ?
Anne-Marie Storme : Les mots sont venus après le suicide de ma mère, dans l’urgence de dire ce qu’elle n’a jamais pu. L’écriture mêle le ressenti d’un vécu, des éléments de réalité et un imaginaire. Ma mère ne m’a jamais rien confié. J’ai écrit pour aller à sa rencontre, et, à travers elle, à la rencontre de tous ceux qui n’ont jamais pu libérer l’indicible. Dans l’histoire singulière de cette petite fille, jeune fille, femme puis mère se reflète toute une génération de femmes allemandes et françaises, enfermées dans le modèle « Kinder-Küche-Kirche » (ndlr Enfants-Cuisine-Eglise). Dans ses non-dits et son infinie solitude résonnent bien des silences engendrés par la honte, la culpabilité, le trop-plein de blessures.
Avez-vous le sentiment que ce silence pèse encore pour les jeunes générations, que le travail de mémoire n’a pas encore rompu la chape de silence ?
A-M. S. : Lors d’un voyage en Allemagne, dans ma famille, j’ai compris que ce passé restait terriblement douloureux. Les gens n’ont pas envie de parler de cette période de l’histoire. Ceux qui ont vécu un traumatisme souvent préfèrent se taire. C’est à nous, enfants et petits-enfants, de questionner à tout prix, malgré tout, avant qu’il ne soit trop tard.
Comment avez-vous guidé la comédienne Anne Conti pour incarner corporellement cet enfermement dans le non-dit ?
A-M. S. : Anne Conti, dans son corps et sa manière d’être, diffère radicalement du personnage. Elle dégage sur scène un rayonnement, une générosité, une rage qu’elle extériorise, contrairement à cette femme, qui porte une énergie qui se terre et s’enterre. Ce paradoxe m’intéressait. Nous avons ici travaillé sur l’immobilité, sur la lenteur, sur l’abandon. A mesure qu’elle parle, la comédienne recule en lent mouvement, suivant une ligne droite qui finit par l’acculer au mur. L’espace est empli de vide et pèse, comme la culpabilité qui empêche d’avancer, qui paralyse le corps et la pensée. Anne Conti porte ces mots pour nous en délivrer.
Entretien réalisé par Gwénola David
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