Le Malade Imaginaire, d’après Molière, version pour marionnettes d’Hubert Jappelle

Pour Hubert Jappelle, « ce qui transforme l’objet en marionnette, ce qui la transmue, c’est le mouvement et l’interprétation que le spectateur s’en donne. ». Dans sa mise en scène du Malade Imaginaire, l’ancien directeur du Théâtre de l’Usine décédé en 2020, dont la voix résonne encore à travers ses personnages de bois et de tissu, rend à Molière l’expressivité de sa pièce dans toute sa finesse et sa pureté, et lève toute l’ambiguïté entre le réel et l’imaginaire généré par l’acteur. « L’objet devient l’instrument d’un langage » : les mots d’Hubert Jappelle résonnent encore justes. Les marionnettes n’ont ni bouche, ni yeux, et pourtant les tirades de Molière sont révélées avec une justesse simple, efficace, permettant à tous, y compris aux plus jeunes spectateurs, de se saisir du propos tantôt comique, tantôt dramatique. Les spectateurs de la comédie, nombreux dans la salle en ce triste dimanche pluvieux, s’en remettent d’ailleurs à un fantastique abandon de tout ce qu’ils pourraient hériter des souvenirs scolaires de la pièce, en semblant découvrir avec émerveillement les trois actes des plus notoires du dramaturge quadri-centenaire. Un paravent, un fauteuil et un pan de rideau rouge habillent une scène montée de bois. Rythmée par les intermèdes musicaux issus de la version originale, la performance tient à la maitrise des six manipulateurs, usant de leurs baguettes noires pour faire vivre les onze pantins.

Les marionnettes, support fertile à la magie théâtrale

Le sarcasme de Toinette, la bêtise d’Argan, l’hypocrisie de ses médecins, et l’impertinence générale de la pièce portent haut, par la qualité de la lecture du texte, le ridicule de la médecine de l’époque. C’est lorsque Louison, dernière fille d’Argan – dont la petite voix aiguë fait fondre de mignonnerie quand elle minaude « mon papa » – feint la morte pour échapper au fouet de son père dans l’acte II, que l’utilisation des marionnettes prend tout son sens. D’un personnage joyeusement habité, le pantin tombe inerte quelques secondes, avant de fabuleusement reprendre vie : « Là, là, mon papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas morte tout à fait. » Il faut dire que la vivacité du texte se prête particulièrement bien à l’humanisation de marionnettes, tant les répliques imaginées par Molière sont cadencées. L’hilarant dialogue de sourds de l’acte III entre Monsieur Purgon, fulminant que son client ne suive pas ses recommandations, et Argan, dominé par la situation, achève de rendre visible l’éclat de l’écriture, résolument portée par les créations plasticiennes d’Hubert Jappelle. C’est avec l’étonnante impression d’avoir redécouvert le texte et les personnages du Malade Imaginaire que l’on ressort du Théâtre de l’Usine, et il est difficile d’affirmer si cela tient de la fougue des pantins, ou de l’adaptation limpide d’Hubert Jappelle. Le plaisir du théâtre est bien présent, n’est-ce pas l’essentiel ?

Louise Chevillard