Le Jeu de l’amour et du hasard
Théâtre de l’Ouest Parisien /Centre des Bords de Marne/ de Marivaux / mes Laurent Laffargue
Publié le 25 septembre 2014 - N° 224Un double travestissement qui affole les cœurs et les esprits et où finalement triomphent l’amour autant que les règles sociales. La langue superbe de Marivaux dans une mise en scène élégante et chatoyante, portée par de très bons comédiens.
Masque avec le monde et grimace avec sa femme : Silvia se méfie du mariage. Dorante n’a pas non plus l’intention d’épouser sans connaître celle qui lui est destinée. Car Silvia et Dorante sont promis l’un à l’autre par leurs pères, et afin de ne pas se fourvoyer, ils décident d’user du même stratagème : ils échangent leurs identités avec leurs valets, Lisette et Arlequin, pour examiner leur parti à leur guise. Un double travestissement qui affole les cœurs et les esprits. Marivaux excelle à orchestrer les combats tumultueux entre désir et amour-propre, sentiments et conscience sociale. Les valets se plaisent et ont pour perspective une fulgurante ascension sociale, mais les maîtres – et en particulier Silvia – ne peuvent envisager leur amour sans en être horrifié. Tout est chamboulé, leur être intime est en panique totale : ils se reconnaissent mais ne peuvent admettre leur inclination pour un simple domestique. Le verbe et les manières contredisent l’habit, et les tourtereaux résistent de toutes leurs forces à leurs sentiments. Dorante a beau proclamer en fin de compte que « le mérite vaut bien la naissance », à la fin tout rentre simplement dans l’ordre et l’amour peut triompher. Du Bourdieu avant l’heure !
Tourbillon et confusion
« C’est toute la mécanique subtile de cette double partition, amoureuse et sociale, que je souhaite mettre en scène, en m’appuyant sur les codes actuels. Car bien qu’en apparence plus égalitaire, notre société reste pourtant cloisonnée. » Laurent Laffargue habille donc les protagonistes comme nos contemporains, et heureusement évite le piège d’une actualisation temporelle trop marquée qui serait vouée à l’échec, tant nos époques diffèrent. La mise en scène reflète avant tout le tourbillon des cœurs et de l’amour, la confusion des esprits et les frontières qui fluctuent et troublent. On aurait pu craindre un aspect systématique et répétitif de cet espace épuré en perpétuelle métamorphose, mais c’est finalement l’élégance et la sobriété qui priment. Quelques moments oniriques fixent le désarroi de l’un ou l’incertitude de l’autre, et les déplacements symétriques fonctionnent comme des effets de miroir. C’est drôle et cruel, car ce n’est rien moins que la quête de soi qui est à l’œuvre. Surtout le jeu des comédiens donne une grande fraîcheur et une drôlerie parfois quasi clownesque à ce parcours incertain vers la vérité. Georges Bigot est excellent en père manipulateur, et les jeunes Clara Ponsot (Silvia), Pierric Plathier (Dorante), Manon Kneusé (Lisette), Julien Barret (Arlequin) et Maxime Dambrin (Mario) interprètent à merveille leur partition.
Agnès Santi
A propos de l'événement
Le Jeu de l’amour et du hasarddu jeudi 9 octobre 2014 au mardi 14 octobre 2014
Théâtre de l’Ouest Parisien
1 Place Bernard Palissy, 92100 Boulogne-Billancourt, France
A 20h30. Tél. : 01 46 03 60 44. Centre des Bords de Marne, 2 rue de la Prairie, 94170 Le Perreux-sur-Marne. Le 9 octobre à 20h30. Tél : 01 43 24 54 28. Durée : 1h50.