Gilles Bouillon met en lumière l’actualité de cette partition rigoureuse autour de l’amour, ici plus jubilatoire que cruelle, avec six jeunes acteurs.
Un plateau blanc, lisse et brillant presque autant qu’un miroir, un plateau comme un échiquier vierge d’apparence très moderne, prêt à accueillir la partie et à compter les coups. Cette belle scénographie met en lumière l’actualité et l’acuité des tourments amoureux, exposant en pleine lumière les mouvements des corps comme ceux des mots, les deux se contrariant souvent… Pour débusquer la vérité sous les conventions et les illusions, la mise en scène souligne des contrastes stylisés et saisissants entre chaque personnage. Tout commence par une tricherie, un déguisement : Silvia et Dorante, les maîtres, échangent leur identité avec leurs valets, Lisette et Arlequin, afin d’examiner incognito le promis – ou la promise – choisis par leurs pères. Marivaux excelle à mettre en mots les subtilités de ce jeu passionnant qui affole les têtes comme les cœurs, et donne du piquant au conflit de classes, sans pour autant réellement remettre en cause l’ordre établi, – une validation manifeste de la violence symbolique et du concept d’habitus de Bourdieu !
Un cœur juvénile, plein de doutes et d’emportements
Pour habiter cette scène qui surexpose le jeu du désir à travers celui du théâtre, de tout jeunes comédiens, qui malgré leur jeunesse, ou plutôt à cause de leur jeunesse, doivent justement pouvoir interpréter cette partition musicale extrêmement rigoureuse et subtile. C’est en effet pour les six comédiens du Jeune Théâtre de la Région Centre, véritable troupe de création au sein du centre dramatique régional de Tours, que le metteur en scène Gilles Bouillon et le dramaturge Bernard Pico portent la pièce à la scène. Tous deux concentrent le spectacle sur ce cœur amoureux, un cœur juvénile, plein d’élans, de doutes, d’emportements et d’hésitations. Les acteurs relèvent bien le pari, Claire Théodoly est une Sylvia épatante entre audace et embarras devant la force de ses sentiments. Tout est mouvement dans la pièce. Plus que l’aspect social, qui se définit ici par les conflits de classes et les conflits générationnels, ce sont avant tout les mystères de l’amour qui constituent l’essence du spectacle. Des mystères qui peuvent générer bien des souffrances mais dont la mise en scène exalte ici plutôt la fraîcheur et le charme, enivrants comme des bulles de champagne. En fond de scène on voit les jeunes acteurs pendant les répétitions, et parfois des extraits du texte sont projetés, une redondance inutile car le jeu théâtral suffit. La scène expose avec délectation les chemins escarpés empruntés par les amoureux, où l’amour-propre, le désir, le mensonge et la vérité se vouent une lutte de chaque instant. Le théâtre et ses accessoires emblématiques – masques et rideaux de plexiglas dépoli, entre autres – ont la part belle dans ce jeu de dupes où certains en savent plus que d’autres (ici les spectateurs comme le père et le frère de Sylvia). Un jeu dont la cruauté évidente laisse cependant place au plaisir : plaisir du jeu, vertige de la quête du bonheur.
Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, mise en scène Gilles Bouillon, spectacle vu au CDR de Tours en octobre 2008, du 11 au 21 mars du lundi au samedi à 20H30, au Théâtre de Châtillon, 3 rue Sadi-Carnot, 92 Châtillon. Tél : 01 55 48 06 90.