La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Le 6° Continent et Journal d’un corps par Daniel Pennac et Lilo Baur

Le 6° Continent et Journal d’un corps par Daniel Pennac et Lilo Baur - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre des Bouffes du Nord
©Alessandro Shinco « La metteuse en scène Lilo Baur et l’auteur Daniel Pennac. »

Théâtre des Bouffes du Nord /
Le 6° Continent / dramaturgie Daniel Pennac / mes Lilo Baur
Journal d’un corps / de et par Daniel Pennac

Publié le 1 octobre 2012 - N° 202

Lilo Baur crée Le 6° Continent de Daniel Pennac, pièce écrite à partir d’improvisations sur l’inconséquence des hommes quant aux déchets planétaires. Par ailleurs, l’auteur lit Journal d’un corps, le corps vu comme cœur, objet et sujet de tous.

« L’humanité occidentale est à la fois hypocondriaque et suicidaire. »

 

Pourquoi lire Journal d’un corps ?

D.P. : La lecture crée trois intelligences en mouvement, le lecteur, le texte et l’auditeur qui jonglent entre elles. Et l’épreuve du lecteur est passionnante : lire le journal qu’un homme tient strictement de son corps – de l’âge de douze ans et neuf mois à quatre-vingt-sept ans – après une peur enfantine à laquelle ce corps a réagi en se débondant, provoquant une humiliation terrifiante. L’enfant décide de tenir ce journal pour éviter de céder à la fois aux effets corporels de son imagination comme aux effets de surprise que le corps suscite dans le domaine des interprétations. Le narrateur devient entomologiste de lui-même, à l’écoute des surprises corporelles.

 

Peut-on rapprocher Journal d’un corps du journal intime ?

D. P. : Chacun se reconnaît dans cette recension des surprises jusqu’à la mort. La surprise, tel l’éternuement, est un moyen d’expression du corps, et le lecteur fait l’épreuve d’une identification physiologique. Journal d’un corps est le contraire du journal intime qui procède du désir de ne pas maîtriser ses émotions ni ses affects, où on les exploiterait plutôt. Journal d’un corps est infiniment plus intime qu’un journal intime, avec ce désir de tout maîtriser, sans y parvenir.

 

Que diriez-vous du corps encore ?

D. P. : Le corps moderne est dans une situation paradoxale, il est exposé médicalement, médiatiquement et pornographiquement, au sens large. Or, cet excès d’exposition n’a aucune incidence sur les rapports que chacun entretient avec son intimité. La relation de soi avec le corps ne change pas, cœur, objet et sujet.

 

Le 6° Continent a été conçu, durant plus d’un an, sur les improvisations de comédiens sous la direction de Lilo Baur.

D. P. : L’opposition entre le propre et le sale a généré une énergie narrative que la lecture shakespearienne de Timon d’Athènes a stimulée. Dans Le 6° Continent, grâce à sa sœur philosophe et sceptique, l’idéaliste qui croyait que les siens avaient œuvré pour l’idéal de la propreté devient peu à peu hyperréaliste, devant la révélation de la monstruosité engendrée par cet idéal.

Lilo Baur : Ce 6° Continent dans le Pacifique Nord est the Garbitch Patch, une soupe de déchets, de micro-plastiques qui ne se sont pas dégradés, tel un plancton. À cause des effets du climat – les hautes pressions et les courants marins -, la tache ressemble à un vortex où rien ne bouge, où tout se pose et stagne.

D. P. : Paradoxalement, ces déchets de plastique proviennent de l’obsession de l’humanité industrielle, quant à la propreté et à la préservation des aliments, des objets, des vêtements, à travers les emballages. Cette crasse et cette pollution inouïe sont nées du désir de protéger les biens de consommation, protection à laquelle on doit probablement une amélioration de la santé publique.

 

Comment la mise en scène s’est-elle imposée ?

L. B. : Après les impros et après l’écriture du texte par Daniel, la difficulté a été de retrouver les premiers éclairs et la fraîcheur de l’improvisation pour les intégrer à l’arc scénique, au fil rouge. Dès le début, j’ai choisi des comédiens d’arts différents – musique, danse, théâtre – qui se jettent dans l’aventure grâce au jeu et au contact des uns avec les autres, dans une grande liberté. Le chaos prend forme à la fin. La pièce enchaîne une multitude de petites scènes à la gestuelle drôle.

 

La pièce n’est ni didactique ni moralisante.

D. P. : Nous sommes tous concernés par cette famille car chacun est innocemment actif dans le désastre général. La pièce repose sur une fable à la morale éclairante, un paradoxe de l’humanité. L’humanité occidentale est à la fois hypocondriaque et suicidaire. Elle a conscience de cette dualité. Tout notre investissement consiste à reculer toujours un peu plus le terme de ce suicide, ce qu’on appelle le progrès.

Propos recueillis par Véronique Hotte


A propos de l'événement

Le 6° Continent et Journal d’un corps
du mardi 16 octobre 2012 au samedi 10 novembre 2012
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, boulevard de La Chapelle 75010 Paris.

Le 6° Continent, du 16 octobre au 10 novembre 2012, du mardi au samedi à 21h sauf le 17 octobre à 20h. Matinées les samedis 17 octobre, 3 et 10 novembre à 15h30. Journal d’un corps, du 24 octobre au 10 novembre 2012, du mercredi au samedi à 19h. Tél : 01 46 07 34 50. Texte publié aux Éditions Gallimard.
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