La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2012 - Entretien André Pignat

L’art comme voie spirituelle

L’art comme voie spirituelle - Critique sortie Avignon / 2012

Publié le 10 juillet 2012 - N° 200

Etrange et humain paradoxe : la compagnie valaisanne Interface porte à la scène l’aventure radicale de la carmélite Marie-Madeleine de Pazzi (1566-1607) et transmet les fondements d’une autre idée de la liberté, d’une quête spirituelle. Explications par André Pignat, fondateur, metteur en scène et compositeur de la compagnie.

« Nous abandonnons le champ du langage pour celui de l’émotion. »
 
Comment avez-vous découvert l’existence de cette carmélite florentine du XVIe siècle ?
 
André Pignat : Ses écrits m’ont profondément interpellé. Elle y explique que la liberté se trouve dans la souffrance et la soumission, ce qui ne correspond bien entendu pas du tout à ma conception de cette idée ! Le mot liberté est un leitmotiv dans nos démocraties, et il prend dans ce discours du XVIème siècle une signification radicalement autre que notre sens contemporain. Avec les membres d’Interface, nous avons décidé de créer un spectacle dans le but d’essayer de comprendre ce qu’elle voulait dire. Nous n’avons pas voulu exprimer notre opinion sur ce discours, mais nous avons tenté de le vivre, de le faire nôtre. Nous avons vécu dans un monastère pendant deux semaines, et ensuite pendant neuf mois nous avons transformé le théâtre Interface en monastère. Nous nous sommes ainsi levés à 4 heures du matin, et nos journées étaient rythmées par des gongs, définissant des actions précises. Nous pensions que cette expérience spartiate allait se révéler insupportable, mais le fait de vivre dans l’action au présent nous a libérés de cette incessante projection dans le futur – ou parfois le passé – qui caractérise nos sociétés. Pazzi reflète nos émotions et nos contradictions, notre relation à nous-mêmes à l’intérieur de cette expérience. Nous présentons ce spectacle au Théâtre du Balcon, avec qui nous initions un partenariat de création à long terme.
 
Est-ce que vous transcrivez sur scène une expérience mystique ?
 
A. P. : Ce spectacle nous a plongés dans une mystique, une spiritualité, une quête intérieure de soi. Il s’agit de quitter la norme sociale pour rechercher une véritable aspiration, bien au-delà de la notion de religion. Nous avons présenté le spectacle en Europe, en Afrique, en Guyane, et même à Téhéran, où la danse et la religion chrétienne sont interdites, et le spectacle a été bien accueilli partout. Cette quête spirituelle que nous représentons transcende les cultures, les idéologies, les peuples. Nous abandonnons le champ du langage pour celui de l’émotion, de la lumière à l’intérieur de chacun, que nous nous efforçons de transcrire par la danse, le théâtre et la musique. C’est ce pari qui sous-tend Interface ! 
 
Comment travaillez-vous pour arriver à cette compréhension ?
 
A.     P. : Nous voulons rendre palpable l’impalpable, rendre matérielle l’âme, rendre concrète une idée abstraite et complexe. Pour moi, l’art c’est la mise en matière de l’âme par la musique, la danse, le théâtre. Nous partons d’une page blanche et puis on commence à chercher dans le corps, la danse. Je réagis ensuite à la danse, et je compose pour trouver des vibrations communes. Nous cherchons à trouver cette interface, ce point qui relie les choses. Tout le monde crée, en fonction de ricochets constants. Il existe une règle, celui qui propose n’a pas le droit de parler. Je compose, les danseuses Stéphanie Boll et Géraldine Lonfat écoutent, ensuite elle critiquent et font évoluer la musique. De même pour la danse, elles me montrent un mouvement sans l’expliquer, puis je commente et fait évoluer ce mouvement pour qu’il devienne vibratoire pour moi. Maud Pfister a aussi écrit un texte à partir des écrits de Marie-Madeleine de Pazzi. C’est un échange entre les arts, qui fait que le spectacle devient commun et accessible à tous. Nous effectuons un travail de nettoyage pour arriver à l’essentiel, pour expérimenter et partager un autre regard sur le monde, pour découvrir la vie.

Propos recueillis par Agnès Santi 


Avignon Off. Théâtre du Balcon, 38 rue Guillaume Puy. Du 7 au 28 juillet à 10h40. Tél : 04 90 85 00 80.
 
Pazzi / Théâtre du Balcon
Conception et mise en scène André Pignat, Stéphanie Boll et Géraldine Lonfat

A propos de l'événement


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