La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

L’Amante anglaise

L’Amante anglaise - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Pascal GELY Légende : Marie-Louise Bischofberger, Ariel Garcia-Valdès, André Wilms et Ludmila Mikaël.

Publié le 10 mai 2009

Interrogations durassiennes

Il s’agit de l’une des plus belles affiches de la saison : Ludmila Mikaël, Ariel Garcia-Valdès et André Wilms. Sous la direction de Marie-Louise Bischofberger, les trois comédiens investissent l’univers énigmatique de L’Amante anglaise, pièce de Marguerite Duras qui scrute les zones d’ombre d’une impulsion meurtrière.

L’Amante anglaise est fondée sur un fait divers réel. Pouvez-vous revenir sur celui-ci ?
Marie-Louise Bischofberger : Marguerite Duras s’est inspirée d’un crime qui s’est produit à la fin des années 1940, à Savigny-sur-Orge. Une femme, après avoir fracassé le crâne de son mari, a dépecé son cadavre et l’a dispersé en en jetant, chaque nuit, un morceau dans des trains de marchandises passant à proximité de chez elle. Cette femme a été arrêtée, a avoué son crime sans pour cela jamais parvenir à l’expliquer. Dans L’Amante anglaise, Marguerite Duras a changé l’identité de la victime. Ce n’est pas son mari, Pierre, que tue le personnage de Claire Lannes, mais la cousine de celui-ci, une femme sourde et muette qui vivait avec le couple. Tout comme la vraie meurtrière, Claire ne réussit pas à donner d’explications à son geste.   
 
Quelle a été votre porte d’entrée dans l’écriture de Marguerite Duras ?
M.-L. B. : Nous avons regardé des films de Raymond Depardon. Car, je souhaitais absolument que l’on touche à une forme de concret, que l’on évite l’idée d’un détachement artificiel, d’une désincarnation. Et pourtant, dans l’écriture de Marguerite Duras, il y a quelque chose qui ne peut pas correspondre à un univers trop réaliste. Il a donc fallu découvrir le point de jonction entre ces deux exigences.
Ludmila Mikaël : Oui, c’est une sorte d’équilibre extrêmement subtil à trouver. Car, dès que l’on penche un peut trop du côté du réalisme, on risque de rendre la pièce un peu trop ordinaire, un peu trop quotidienne, et dès que l’on se situe simplement dans l’écriture, on risque de ne pas éclairer toutes les dimensions de sa profondeur humaine.
M.-L. B. : Il s’agit vraiment d’une pièce grandiose. De part sa construction, bien sûr, mais aussi de part la façon très singulière avec laquelle elle parvient à échapper à la réalité, à apparaître un peu en hauteur, comme un ballon qui flotte.
 
L’Amante anglaise peut être lue comme une pièce sur les fondements de l’élan criminel, sur la folie, sur la solitude, sur le couple, sur la quotidienneté… Qu’est-ce qui se situe, selon vous, au centre de tout cela ?
Ariel Garcia-Valdès : Il est toujours très difficile, pour un comédien, de répondre à ce genre de questions. Car, comme le disait Artaud, toute chose nommée est une chose un peu morte. Et donc, si un acteur nomme trop les choses, il y a tout un parcours, tout un tracé, tout un cheminement qui finit par s’appauvrir. Mais, pour autant, on sait à peu près dans quelles zones on navigue : dans les zones de la part monstrueuse que chacun a en soi, part qui est fascinante. L’Amante anglaise parle du meurtre que chacun pourrait commettre, du meurtre indéfinissable, insaisissable.
 
« L’Amante anglaise parle du meurtre que chacun pourrait commettre, du meurtre indéfinissable, insaisissable. » Ariel Garcia-Valdès
 
L. M. : Certains grands criminels déclarent qu’ils ne savent pas pourquoi ils ont commis leurs crimes. C’est le cas de Claire Lannes. Tout se déroule comme si elle cherchait à comprendre son geste, à le comprendre avec l’Interrogateur, avec nous, avec Marguerite Duras. Je crois que nous sommes tous capables, un jour, de commettre un meurtre. Pour moi, jouer le personnage de Claire revient ainsi, d’une certaine façon, à m’approcher de moi-même, de ma possibilité de crime, de folie, de l’excès de douleur qui pourrait m’amener à devenir absente à moi-même, à passer à l’acte.
 
Comment appréhendez-vous la langue de Marguerite Duras ?
André Wilms : Certainement pas de façon durassienne ! Marguerite Duras disait souvent qu’elle ne voulait pas que les acteurs jouent ses textes, mais qu’ils les disent. Elle semblait vouloir au maximum gommer le théâtre. Elle a encadré de façon très précise les modalités de représentation de L’Amante anglaise, demandant à ce que tout se passe devant le rideau de fer, sans décor et sans costume. A partir de ce moment-là, la question qui se pose est de savoir quoi faire… Alors on triche, on biaise, on ruse… D’ailleurs, comme le disait Brecht, la ruse est l’arme du révolutionnaire !
 
Avez-vous envie, d’une certaine façon, de résister à Marguerite Duras ?
A. W. : Résister à Marguerite Duras, je ne sais pas, mais en tout cas, aux clichés que l’on véhicule au sujet de son œuvre, certainement. J’entends par là l’esprit de sérieux, les longs silences… Il faut mettre un peu d’humour, de swing, un peu de witz dans tout ça ! On oublie souvent que Marguerite Duras avait de l’humour.
L. M. : Cet humour est d’ailleurs particulièrement présent dans L’Amante anglaise, qui est une pièce dans laquelle la drôlerie et le tragique sont, par moments, très proches.  
A. G.-V. : Je ne crois pas que nous soyons, Ludmila, André et moi, ce que l’on appelle des acteurs durassiens. Et pour apporter quelque chose de différent à ce texte, pour l’amener ailleurs, c’est peut-être une chance de le confier à des interprètes qui ne se situent pas à cet endroit.
 
Pour vous, qu’est-ce qu’un acteur durassien ?
A. W. : Comme Marguerite Duras l’a elle-même expliqué, c’est un acteur dépeuplé.
A. G.-V. : C’est ça, elle s’est beaucoup exprimée à propos du dépeuplement de l’acteur. Elle a expliqué que les comédiens ne devaient être présents à rien sinon à eux-mêmes, dans une sorte de présence relâchée, distraite, lointaine. Cela revient à ne pas motiver ce que l’on dit, à laisser la sensation venir après. Michaël Lonsdale, qui est quelqu’un de merveilleux, parle très bien de cela. Dire, aujourd’hui, que nous ne souhaitons pas nous plier à cela n’est d’ailleurs pas une critique envers les acteurs formidables qui l’ont fait du vivant de Marguerite Duras. Mais, le temps a passé et il est naturel que nous ayons, aujourd’hui, envie d’explorer d’autres chemins. 
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


L’Amante anglaise, de Marguerite Duras ; mise en scène de Marie-Louise Bischofberger. A partir du 28 avril 2009. Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h00. Théâtre de la Madeleine, 19, rue de Surène, 75008 Paris. Réservations au 01 42 65 07 09.

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