La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2010 - Entretien Vincent Dussart

La tragédie ou l’art du questionnement

La tragédie ou l’art du questionnement - Critique sortie Avignon / 2010

Publié le 10 juillet 2008

Dans La Revue tragique, Vincent Dussart met en scène quelques spécimens humains se métamorphosant en monstres. Un miroir – réputé déformant… – de notre humanité.

Quels questionnements sur l’espèce humaine soulève la tragédie ?
 
Vincent Dussart : La tragédie confronte l’homme à son humanité en questionnant sa propension à la violence. Le héros tragique, rejeté du corps social, se construit une nouvelle identité en commettant un crime tel qu’il le fait basculer dans la monstruosité. Il acquiert alors une identité inhumaine. La tragédie nous présente un miroir déformant. Elle nous met face à l’inhumain de l’homme, induisant peut-être ainsi que tous les inconscients sont monstrueux. Elle dit notre stupeur face à l’homme, animal doué de raison, seul représentant des espèces vivantes capables de mettre massivement à mort ses congénères. Qui suis-je ? La question traverse l’histoire. La tragédie ne donne pas de réponse, elle continue de questionner, et ce questionnement nous est plus que jamais nécessaire. Tenter de comprendre notre monstre, c’est cultiver un peu notre humanité.
 
« Tenter de comprendre notre monstre, c’est cultiver un peu notre humanité. »
 
Pourquoi vous inspirez-vous en particulier de Sénèque dans votre pièce ? Qu’appréciez-vous dans cette langue, traduite ici par Florence Dupont ?
V. D. : Le théâtre de Sénèque est pour moi un théâtre de l’étrange. Etrangeté des corps douloureux, des cris, des crimes et de la parole. Cette étrangeté nécessite un travail spécifique avec le comédien, une théâtralité particulière du corps et de la voix. En effet, le théâtre de Sénèque ne souffre aucun traitement psychologique, aucun naturalisme qui viendrait briser le tragique. La traduction de Florence Dupont accompagne cette nécessité, elle appelle un phrasé original se dégageant de tout réalisme.
 
Comment structurez-vous votre représentation et avec quels personnages ?
 
V. D. : Dans un lieu, mi-cabaret, mi-terrain vague, quelques spécimens humains viennent accomplir sous nos yeux leur métamorphose en Monstres. Le spectacle s’élabore autour des trois temps de cette métamorphose : le Dolor où le héros, pétrifié par la douleur, perd son identité et son statut social. Le Furor, où il accumule de l’énergie en ressassant sa douleur, afin de parvenir au Crime, qui le fait basculer dans l’inhumain. Médée, Phèdre, Hécube et Œdipe vont, tour à tour, traverser ces trois temps afin d’accomplir leur destinée, sous l’œil de la Meneuse de Revue qui les guide jusqu’à la catastrophe finale.
 
Votre pièce est titrée La Revue tragique. Pourquoi ?
 
V. D. : La douleur paroxysmique du tragique correspond selon moi à un mal contemporain : la souffrance de l’individu au sein d’une société où la conscience de soi est mise à mal quand l’individu ne se perçoit plus qu’au travers du regard des autres. Il s’agit donc de travailler sur un double antagonisme. Pour le comédien : mon sentiment d’existence m’échappe, alors je me montre ; pour le personnage tragique : mis au ban de la société, je n’existe plus, alors je parle. La revue permet de donner une forme contemporaine à cette exposition des corps, induite par la perte d’identité. L’image lisse et terrifiante d’un podium de mannequins, d’un défilé de femmes-objets couvertes de plumes et de strass dont l’humanité est niée, rencontre celle des corps pétrifiés des douloureux, des cadavres sanglants et du héros tragique écrasé par la douleur. Une revue donc, où la douleur et la légèreté, la gravité et l’ironie, le kitsch et l’élégant, les paillettes et le sang rivalisent pour évoquer la dérision de notre humanité.

Propos recueillis par Agnès Santi


Avignon Off. La Revue tragique, textes Sénèque, traduction Florence Dupont, mise en scène Vincentt Dussart, du 8 au 31 juillet à 13h45 au Théâtre du Collège de la Salle, Place Pasteur. Tél 0490391913.

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