La Reprise, Histoire(s) du théâtre (I)
La Reprise inaugure le cycle des Histoire(s) [...]
Salle Richelieu, la metteure en scène allemande Katharina Thalbach a signé l’entrée au répertoire de la Comédie-Française de La Résistible Ascension d’Arturo Ui. Un bel exercice de style qui peine à insuffler force et vie à la pièce de Bertolt Brecht.
Dans l’époque incertaine qui est la nôtre, le devoir de mémoire auquel nous engage Bertolt Brecht à travers La Résistible Ascension d’Arturo Ui nous parvient comme un précieux signal du passé. Un signal d’alarme, venu d’une des périodes les plus noires du XXème siècle (l’œuvre date de 1941). « Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds, nous adjure l’auteur allemand dans l’épilogue de sa pièce. Agissez au lieu de bavarder. Voilà ce qui aurait pour un peu dominé le monde ! Les peuples en ont eu raison, mais il ne faut pas nous chanter victoire, il est encore trop tôt : le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde. » L’avertissement est clair. Car derrière l’histoire d’Arturo Ui — petit malfrat parvenant à force de malversations et de crimes à conquérir la ville de Chicago, dans les années 1930 — Brecht dissèque les différentes étapes ayant permis à Adolf Hitler de prendre le pouvoir en Allemagne pour instaurer le Troisième Reich. Parodie du dictateur nazi, mais aussi d’Al Capone, le personnage central de cette parabole politique doublée d’une histoire de gangsters est une vieille connaissance de Katharina Thalbach.
Laurent Stocker, éclatant Arturo Ui
Car la metteure en scène a grandi, en partie, entre les murs du Berliner Ensemble, où sa mère (la comédienne Sabine Thalbach) jouait dans la première version de la pièce, créée deux ans après la mort du dramaturge, en 1958. Le spectacle aux forts accents expressionnistes qu’elle présente aujourd’hui Salle Richelieu paraît réinvestir, sans vraiment la réinventer, la tradition de la prestigieuse institution berlinoise. D’un classicisme qui flirte avec l’exercice de style, cette vision de La Résistible Ascension d’Arturo Ui a les qualités de ses défauts : rigoureuse en tous points, impeccablement maîtrisée, mais manquant de fulgurances et de profondeur. Visages grimés à la manière de clowns, les Comédiens-Français se plient à un jeu volontariste, burlesque, quasi marionnettique. Un jeu sur-codifié qui se révèle incapable de faire résonner la représentation dans le présent de notre écoute. Seul Laurent Stocker, dans le rôle-titre, parvient à sublimer le formalisme de cette approche pour créer de la vie. Mais son éclatante performance ne suffit pas à faire la réussite du spectacle. Belle et savante mécanique, cette Résistible Ascension d’Arturo Ui avance d’un pas énergique. Sans jamais réellement éclairer les ombres qui pèsent sur notre temps.
Manuel Piolat Soleymat
salle Richelieu, Tél : 01 44 58 15 15. Durée : 2h05.
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