Carole Fréchette donne une libre adaptation de Barbe-Bleue, qu’elle tire vers un conte initiatique sur les amours adolescentes.
Il serait beau, forcément, charmant, évidemment, et puis riche, jeune, attentionné (etc., etc., etc…). Quoiqu’on proteste, c’est toujours la même guimauve qui agglutine les promesses de bonheur éternel. La rengaine commence au berceau avec les contes merveilleux chantonnés pour apaiser la nuit. Et ça continue avec les cucuteries télévisées qui distillent leurs images enrobées de glamour frelaté. Le prince charmant, avec son cortège d’espoirs rose-bonbon, caracole inlassablement dans les têtes. Increvable ! Moderne, il a su s’adapter. Il est aujourd’hui dans les affaires, internationales va sans dire. Grâce, cœur tendre tout plein de songes sucrés, a donc succombé aux luxueux charmes d’Henri. Et le rêve s’est fait réalité. La voilà maintenant chez elle, dans sa maison de 28 pièces, avec son grand salon Vienne 1900, son petit salon ottoman, son boudoir anglais, son jardin à la française et tutti quanti. Sauf le petit débarras, au bout du long couloir, en haut de l’escalier… interdit, sous peine de briser net la merveilleuse idylle. Et donc l’objet de toute sa curiosité enflammée.
Qu’y avait-il dans la pièce interdite, avant ?
Cette histoire-là pianote un air bien connu : la légende de Barbe-Bleue, qui punissait à mort ses épouses indiscrètes pour s’être aventurées dans le cabinet défendu. Carole Fréchette prend cependant ses aises avec la version de Perrault, parue en 1697 dans Les Contes de ma mère l’Oye. Elle plante le décor aujourd’hui. Henri est un gentleman parvenu, la sœur Anne verse dans l’action l’humanitaire, la bonne, amoureuse du maître, est la clef délatrice de tous les secrets et la mère sanctifie le gendre idéal qui lui fait oublier son p’tit bonheur de bungalow à elle. Surtout, l’auteure Québécoise gratte la fable jusqu’à la question centrale, impensée : qu’y avait-il dans la pièce au début ? Avant que la première femme de Barbe-bleue s’y glisse par effraction ? Ici la porte close cache un homme mutilé qui disparaît sous le feu des lumières. Double caché d’Henri ? Part obscure ? Douleurs inconsolables ? Tout ce qu’on voudra bien y projeter en fin de compte… Autant dire que le jeu des symboles reste ouvert. D’autant que Carole Fréchette tend à fond la contradiction entre le désir de jouir du luxe et l’angoisse de la chambre noire. Blandine Savetier place la scène dans la psyché de Grâce, encombrée de tous les clichés de jeune princesse. Elle s’appuie sur une scénographie clinquante comme un plateau télé, semée d’escaliers sans issue, et opte pour un jeu stylisé, débarrassé de toute psychologie. Les comédiens, Marie-Marie Crochant et Eve Gollac en tête, tiennent l’équilibre entre inquiétude, étrangeté et fantastique. Ils font de cette Petite pièce en haut de l’escalier un joli conte initiatique sur les amours adolescentes.
La petite pièce en haut de l’escalier, de Carole Fréchette, mise en scène de Blandine Savetier, du 9 janvier au 15 février 2009, à 21h, sauf dimanche 15h30, relâche lundi et le 11 janvier, au Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Rens. 01 44 95 98 21 ou www.theatredurondpoint.fr. Le texte est publié chez Actes-Sud Papiers. Durée : 1h30. Spectacle vu au Théâtre National de Bretagne, dans le cadre du festival Mettre en scène.