Danse - Entretien / Alicia Alonso
Alicia Alonso, la passion de la danse
Salle Pleyel / Ballet national de Cuba
Publié le 26 mai 2017 - N° 255Alicia Alonso, directrice du Ballet national de Cuba, est, à 97 ans, une légende et une mémoire vivantes de la danse. Sa Giselle, vu récemment à Madrid, est un miracle d’équilibre entre une virtuosité et une expressivité toute cubaines, et un respect absolu du style romantique qui caractérise cette œuvre. On pourra la découvrir en juillet à la Salle Pleyel à Paris.
Comment avez-vous réussi à imposer la danse comme un art primordial à Cuba ?
Alicia Alonso : Cela a été une tâche ardue et longue. Tout d’abord, à cause des préjugés de certains en relation avec le ballet classique qui le voyaient comme étranger à notre culture et à la sensibilité moderne. Néanmoins, nous avons progressé grâce à la réputation du travail réalisé et à ses résultats. Nous avons réussi à démocratiser le ballet au sein de toute la société cubaine, grâce à des spectacles destinés au grand public, ainsi que des conférences destinées aux étudiants et aux travailleurs. Aujourd’hui, le Ballet de Cuba est incroyablement populaire.
Comment avez-vous réussi à avoir dans votre compagnie autant de garçons, et d’une manière plus générale, comment se fait-il qu’il y ait autant de danseurs étoiles cubains de par le monde ?
A.A. : L’intégration des hommes a été tout un processus car, au départ, il y avait de nombreux préjugés sur la danse masculine. Aujourd’hui, tout cela est derrière nous, nous faisons passer des auditions, nous avons beaucoup de garçons, parfois plus nombreux que les filles. Nous organisons des conférences sur l’art du ballet, en montrant le rôle de l’homme dans la danse classique, et cela permet de faire taire les idées préconçues. Il y a aujourd’hui en effet beaucoup de danseurs cubains dans les compagnies internationales. Par chance, les Ecoles forment chaque année de nouveaux danseurs qui constituent la relève pour ceux qui partent vers d’autres compagnies.
Quelle est, selon vous, la spécificité du Ballet national de Cuba ?
A.A. : Nous sommes une compagnie nationale, avec notre propre école, qui reflète notre culture et notre idiosyncrasie. Nous suivons le répertoire classique avec beaucoup de rigueur mais nous n’oublions jamais que nous dansons pour un public de sensibilité contemporaine.
Vous avez été l’une des plus grandes Giselle du monde. Comment concevez-vous son interprétation aujourd’hui ?
A.A. : Giselle est une œuvre majeure qui a transcendé les époques. Elle demeure ainsi si on l’interprète avec respect et créativité. Nous travaillons sur l’essence du ballet en conservant l’esprit romantique, avec une dramaturgie logique, dépourvue de tout élément superflu. Nous gardons à l’esprit l’évolution de la technique postérieure à l’œuvre, bien que celle-ci s’utilise toujours dans sa relation avec l’atmosphère, avec le style. C’est une Giselle faite pour le public d’aujourd’hui mais sans anachronisme, avec un respect du style et des modes d’expression de l’époque.
« Je n’ai jamais dansé deux fois la même Giselle, je sentais chaque nouvelle représentation comme un acte créatif original. »
Votre propre interprétation s’est-elle modifiée au long de toutes ses années, et si oui, comment ?
A.A. : Mon travail sur le personnage, dans la version complète de Giselle, n’est jamais resté statique. J’ai constamment recherché de nouveaux détails, en essayant de l’enrichir et de lui donner tout son sens. Je n’ai jamais dansé deux fois la même Giselle, je ressentais chaque nouvelle représentation comme un acte créatif original.
Et pour Don Quichotte, quelles sont les spécificités de votre version ?
A.A. : Elle est née de la volonté de respecter au maximum le personnage de Don Quichotte, d’étudier sa philosophie. Nous préservons l’authenticité des danses inspirées des genres du folklore espagnol. Il s’agit surtout de ne pas rompre avec l’aspect divertissant du ballet original créé par Petipa.
Selon vous, doit-on toujours adapter les ballets classiques et jusqu’où peut aller cette adaptation ?
A.A. : Adapter mais ne pas trahir la dimension classique. On peut y ajouter des codes propres au langage théâtral moderne mais il faut le faire de manière imperceptible. C’est là que réside tout le défi, c’est là que se mesure le talent du metteur en scène.
Que pensez-vous de la façon dont évolue le ballet classique aujourd’hui ?
A.A. : Il y a des aspects préoccupants. Pour certains, tout ce qui a du style, de l’ancienneté, est perçu comme quelque chose de dépassé qui doit être changé. D’autres considèrent la technique comme une fin en soi et non comme un moyen.
Quel doit être, selon vous, l’avenir du Ballet National de Cuba ?
A.A. : Je souhaite le meilleur futur pour le Ballet National de Cuba, qu’il conserve et exalte sa réussite, et qu’il aille de l’avant. La vie ne s’arrête pas, l’art non plus.
La disparition de Fidel Castro peut-elle affecter cet avenir ? Le Ballet sera-t-il aussi bien soutenu qu’auparavant ?
A.A. : Le Ballet national de Cuba est aux mains du peuple et c’est ainsi que l’a voulu Fidel Castro. C’est une institution respectée et chérie. Son avenir sera celui que choisira le peuple cubain.
Qu’est-ce qui vous paraît important aujourd’hui?
A.A. : La paix dans le monde. Sans elle il n’y a pas de futur. Je rêve de l’entente entre tous les êtres humains, de la disparition de la violence. Sans principe de dialogue, rien n’est possible.
Propos recueillis par Agnès Izrine
A propos de l'événement
Ballet national de Cubadu vendredi 7 juillet 2017 au jeudi 20 juillet 2017
Salle Pleyel
252 Rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris, France
Tél. : 01 76 49 43 13.
Du 7 au 12 juillet : Giselle, Chorégraphie : Alicia Alonso. Ven. 7, sam. 8, mar. 11, mer. 12 à 20h. Sam.8, dim.9 à 15h.
Du 15 au 20 juillet : Don Quichotte, Chorégraphie : Alicia Alonso. Sam. 15, lun. 17, mar. 18, mer. 19, jeu. 20 à 20h, sam.15, dim. 16 à 15h.
Cours en public les 9, 16 et 20 juillet de 11h à 13h.
Le 6 juillet à 20h : une soirée d’ouverture en hommage à Alicia Alonso, avec les Premiers Danseurs et les Solistes du Ballet National de Cuba