La Nuit des rois ou Tout ce que vous voulez
Pour sa première création à la [...]
Un texte de Pierre Notte ciselé et caustique sur la vieillesse, dans lequel s’affrontent deux comédiennes magistrales : Tania Torrens et Catherine Hiegel.
On ne sait pas trop où on est. Ni quand. La pièce s’ouvre dans un noir crépusculaire nimbé de fumée, au son d’accords tombant comme un couperet. « On n’aura personne ». Devant les deux vieilles femmes assises côte à côte, chacune sur une chaise, on pense d’abord à une maison de retraite. Puis à une loge de théâtre. Pour finalement comprendre qu’il s’agit d’un monde aseptisé (notre futur ?) où l’on se nourrit de barres de légumes lyophilisés. Un monde qui a banni cigarettes, gluten, pain, sucre, moucherons et poussière. Tant de javel, ça colle le bourdon, de quoi regretter les rats ou éprouver de la nostalgie pour les blattes. L’idée de la pièce a été inspirée à Pierre Notte par Catherine Hiegel il y a une dizaine d’années, dans un couloir de la Comédie-Française où l’une était sociétaire et l’autre secrétaire général. Pas d’enjeu narratif. Le texte déploie peu à peu ses variations sur la vieillesse et ses relâchements en tous genres : peau, mémoire, organes, d’autant plus visibles que les deux personnages interprétés par Catherine Hiegel et Tania Torrens n’ont jamais eu recours au bistouri ni au Botox. Des vieilles authentiques au point de devenir des pièces de musée ou des monstres de foire. D’ailleurs au début, cela intéressait les curieux, surtout les enfants. Mais maintenant, presque plus personne ne vient. Alors elles attendent.
Résonances beckettiennes et immenses comédiennes
On pense bien sûr à Vladimir et Estragon, les personnages d’En attendant Godot, ou encore à Winnie dans Oh les beaux jours. Si La Nostalgie des blattes n’atteint pas la profondeur métaphysique de Beckett, elle sait par touches légères mais caustiques régler ses comptes à notre société contemporaine, ses névroses hygiénistes et son politiquement correct. Dans sa mise en scène, Pierre Notte fait le pari de l’épure : plateau nu, pas de décors, seulement deux chaises sur lesquelles sont assises, presque sans bouger pendant une heure, les deux femmes. C’est culotté mais ça marche. Parce que l’écriture est fine, rythmée, à l’os. Et parce qu’elle est servie par deux immenses comédiennes, Tania Torrens et Catherine Hiegel, qui donnent vie avec maestria à leurs personnages de vieilles dames indignes. La première a été comédienne, n’a jamais connu le plaisir et est travaillée par la foi. La seconde a été prostituée, se fiche du qu’en-dira-t-on mais a su garder une certaine candeur. La fin aurait pu être désespérée. C’était sans compter sur la tendresse de Pierre Notte pour ses personnages et ses comédiennes. Une tendresse comme une trouée de lumière, car « la vie trouve toujours une sortie. »
Isabelle Stibbe
Alternance une semaine sur deux : du mardi au vendredi 21h et samedi 16h/21h ou du mardi au samedi à 19h. Tél. : 01 42 08 00 32.
Pour sa première création à la [...]