Oskaras Korsunovas crée une version libre et déroutante de La Mégère apprivoisée. Entre théâtre artisanal et univers de cartoon, le metteur en scène lituanien prend le risque d’une représentation en dehors des stéréotypes de la tradition, comme de ceux de la “branchitude”.
« [La Mégère apprivoisée] est une comédie humaine, qui nous parle de nous, de notre essence, et ce faisant du rapport du théâtre et de la vie, de leur origine, de la création de l’imaginaire et de l’amour », explique Oskaras Korsunovas. Loin de centrer son projet sur la petite aventure qui, notamment, mènera Petruchio (Loïc Corbery) à amadouer sa jeune épouse, la farouche Catharina (Françoise Gillard), le metteur en scène conçoit un spectacle savant et inventif fondé sur une mise en abyme multiple, sur une mise en regard du réel et du factice, du théâtre et de la vie, de la sujétion et du libre-arbitre. Faisant jeu de tout et surtout de presque rien, emportant les Comédiens-Français vers de surprenants espaces de liberté et de ludisme, il engendre une représentation artisanale, profondément personnelle, une représentation qui propose une vision authentique de la pièce, prend le pari de la pensée et de la créativité plutôt que celui de l’image, du chic ou du mimétisme. Ce pari, à la fois ambitieux et audacieux, ne semble pourtant pas convaincre les groupes de spectateurs qui quittent la Salle Richelieu dès l’entracte.
Des jeux de miroirs sur le théâtre et sur la vie
Il faut dire que cette Mégère apprivoisée est susceptible de dérouter. Prolongeant le théâtre dans le théâtre auquel donne naissance le prologue, Oskaras Korsunovas met en place des codes de jeux typés, voire outranciers, demande aux comédiens de jouer à jouer tout au long du spectacle. Il use, pour cela, de bruitages de cartoons (effectués, à tour de rôle, pas les interprètes), remplace les costumes par des planches-miroirs sur le recto desquelles sont collés des fragments d’habits, le verso révélant — à l’occasion de jeux de réverbération — les diverses perspectives de la mise en abyme. Or, l’efficacité de cette belle proposition théâtrale n’est pas immédiate. Chacun doit accepter de relier soi-même, à travers sa propre inventivité, les éléments stylisés par le biais desquels le metteur en scène lituanien donne corps à la comédie de Shakespeare. C’est le prix à payer pour jouir de cette expérience d’une grande valeur artistique, expérience rejoignant l’idée enthousiasmante selon laquelle « la scène n’est qu’un point sur lequel on s’appuie, un point de départ vers l’imaginaire du spectateur qui est le lieu où prend place le véritable théâtre ».
Manuel Piolat Soleymat
La Mégère apprivoisée, de William Shakespeare ; mise en scène et lumières d’Oskaras Korsunovas. Du 8 décembre 2007 à début juillet 2008. Matinées à 14h00, soirée à 20h30. Comédie-Française, Salle Richelieu, place Colette, 75001 Paris. Renseignements et Réservations au 0825 10 16 80 (0,15 € TTC la minute) ou sur www.comedie-francaise.fr