La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Fin

La Fin - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Magda Hueckel Légende photo : Krzysztof Warlikowski au seuil de l’insensé dans La Fin.

Publié le 10 février 2011 - N° 185

Krzysztof Warlikowski revient à la forme spectaculaire magnifiée dans (A)pollonia il y a deux saisons. La Fin est un spectacle formellement abouti, mais qui demeure assez obscur en son propos.

En suivant le même principe que dans son avant-dernier spectacle, Krzysztof Warlikowski emprunte à trois auteurs le matériau textuel de La Fin : un scénario de Koltès pour le cinéma (Nickel Stuff), deux œuvres de Kafka (Le Procès et Le Chasseur Gracchus) et des extraits d’Elisabeth Costello, de John Maxwell Coetzee. Le procédé a l’avantage de proposer un thème plutôt que le fil d’une histoire, et laisse à ce fécond iconographe qu’est Warlikowski la possibilité d’inventer des images nées de sa lecture de la littérature et de l’analyse de ses enjeux existentiels. Les différents personnages sont tous confrontés à la question de la limite : celle de la loi, celle de la vie, celle de la mort. Joseph K. doit faire face à un procès incompréhensible, Gracchus doit naviguer sans répit vers une mort toujours reconduite, Elisabeth Costello doit signer l’impossible aveu de ses croyances devant le tribunal de l’au-delà, et Tony, le danseur incroyablement doué de Nickel Stuff, doit trouver le chemin qui l’arrachera à sa condition de manutentionnaire. Tous errent dans un labyrinthe dont ils ne parviennent pas à sortir. Métaphore de l’existence, ce dédale paraît d’autant plus terrifiant qu’il est tragique, sans autre issue que la mort. Pas de rédemption, pas de solution : ni l’amour (prostitué), ni la piété filiale (incestueuse), ni l’intelligence (méprisée par le curieux douanier qu’affronte Elisabeth Costello) ne peuvent indiquer la voie du salut.
 
Mise en abyme de l’insensé
 
Cette lecture aporétique de l’existence humaine, considérée comme un vain combat à l’agitation insane, dessine les limites de ce nouveau spectacle. Dans un entretien issu de Théâtre écorché (Actes Sud 2007), Warlikowski explique qu’il veut que son théâtre « agisse comme la foudre » sur le spectateur, afin que ce que celui-ci reçoit « prolifère » en lui et provoque des questions plutôt que l’atonie de la satisfaction contemplative. La Fin atteint cet objectif : on passe un temps considérable à comprendre le sens du propos, jusqu’à finir par admettre (et la deuxième partie est plus explicite sur ce point), qu’il faut se résoudre à l’absence de sens. Là où l’absurde s’enracinait dans la morale avec (A)pollonia, il devient ici plus métaphysique et soutient l’idée selon laquelle « là où la sortie n’existe pas, il faut passer par le théâtre ». C’est peu dire que ce cheminement métaphysique est difficile à comprendre, surtout lorsqu’il s’interdit la sécurité des réponses et reconduit, sans cesse et de façon taraudante, la question de l’homme… Mais là où le théâtre (autrement dit le geste, le corps et l’espace), pourrait aider à l’élucidation, il devient lui-même cul-de-sac, étant donnée la complexité de son tuilage textuel et la fébrilité angoissante imposée au jeu des acteurs. Dénoncer la complaisance libidineuse de ce spectacle et l’exigence de l’effort intellectuel qu’il suppose serait ridicule. Il faut donc admettre que le spectateur est convoqué au malaise et à l’interrogation, et qu’il doit peut-être trouver en lui-même les outils du dépassement des affres mis en scène. Il faut reconnaître aussi que le génie de la scénographie, du jeu, de la composition théâtrale et de l’invention des images trouve en Warlikowski un de ses représentants les plus magistraux. Toujours est-il qu’on peine un peu à comprendre le sens de cette débauche spectaculaire pourtant, d’évidence assumée. « C’est une catastrophe lorsque l’on sort après le spectacle (…) et qu’il ne reste que l’idée : « c’était chouette, ce spectacle ! », dit Warlikowski. A cet égard, la catastrophe est évitée !
 
Catherine Robert


La Fin, d’après Nickel Stuff. Scénario pour le cinéma, de Bernard-Marie Koltès ; Le Procès et Le Chasseur Gracchus, de Franz Kafka ; Elisabeth Costello, de John Maxwell Coetzee. Mise en scène de Krzysztof Warlikowski. Du 4 au 13 février 2011. Du mardi au samedi à 19h30 ; dimanche à 15h. Odéon-Théâtre de l’Europe, place de l’Odéon, 75006 Paris. Réservations au 01 44 85 40 40. Durée : 3h50. Spectacle vu à La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale.

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