La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Cruche cassée

La Cruche cassée - Critique sortie Théâtre
Photo : Solange Abaziou - Le juge (Jan Hammenecker), le greffier (David Migeot), la plaignante (Laurence Roy) et la cruche.

Publié le 10 décembre 2007

La comédie de Kleist, fragmentée par Goethe avec une désinvolture ambiguë en 1808, fut un échec. Bélier-Garcia en donne une version houleuse, dissonante mais bienheureuse.

Bernard Sobel conçut en 1984 à Gennevilliers une Cruche cassée avec l’inoubliable Philippe Clévenot. C’est au tour du directeur du Nouveau Théâtre d’Angers, Frédéric Bélier-Garcia, de prendre le taureau par les cornes. Jan Hammenecker à la voix traînante joue un parfait juge mal dégrossi de la province d’Utrecht aux Pays-Bas. Il claudique à cause de son pied-bot tout en frayant pertinemment du côté des ombres maléfiques, une figure de diablotin maudit qui use de son pouvoir et de son autorité pour soumettre à ses moindres désirs les habitants un peu rustres de la campagne alentour. Pas de chance pour la région, Adam est un débauché et un corrompu : il éprouve en toute quiétude le goût gratuit du plaisir, à la recherche de jeunes filles susceptibles d’assouvir ses exigences. Une drôle d’histoire que cette Cruche cassée, l’objet de tous les soins de Dame Marthe, une allégorie de la pureté féminine puisque la mère a surpris un intrus dans la chambre de sa fille (Noémie Dujardin), qui a fait choir l’objet précieux en prenant la fuite. S’agit-il de Ruprecht (Emmanuel Guillaume), l’amant d’Ève ? Le jeune niais nie et Éve se tait.

Un parcours semé d’embûches pour le représentant de la justice.
Voilà pourquoi Dame Marthe (belle et douloureuse Laurence Roy) exige réparation. Le juge est coupable même s’il n’a pas obtenu satisfaction – le spectateur le sait, comme la servante Louise (Christelle Cornil). Un parcours semé d’embûches pour le représentant de la justice à l’inconduite notoire. Et le greffier Lumière (David Migeot) attend son heure pour prendre la place du fonctionnaire. Adam ment, quant à sa jambe et sa face tuméfiées : « Et la tête la première je me fracasse le front contre le poêle, juste là où un bouc pointe son nez, là au coin ». D’une malchance à l’autre, à la manière du Révizor de Gogol, le conseiller Walter (Francis Leplay) arrive de la Cour d’Utrecht pour améliorer la juridiction défectueuse en vigueur dans ces coins reculés. La séance de jugement en elle-même fait théâtre, entre pièces à conviction accusatrices, la perruque du juge perdue et la trace d’une patte animale dans la neige, observée par Dame Brigitte ( Agnès Pontier). La vérité s’impose à pas lents. La tonalité rauque de la pièce est ambivalente, éloignée des idéalisations. Les êtres s’exposent sous leur jour négatif sans nul salut. Un jeu distancié, comique et grotesque qui dénonce les certitudes complaisantes en proposant un rire amer et moderne.
Véronique Hotte


La Cruche casséede Heinrich von Kleist, adaptation Arthur Adamov, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, du 29 novembre au 28 décembre 2007, mardi, mercredi, vendredi et samedi 21h, jeudi 20h, dimanche 16h 30 au Théâtre de la Commune CDN 93300 Aubervilliers Tél : 01 48 33 16 16 Texte publié aux éditions Théâtrales. Pièce vue à la Comédie de Caen.

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