La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Danse - Entretien / Alexei Ratmansky

La Belle au bois dormant

La Belle au bois dormant - Critique sortie Danse Paris
Crédit photo : Rosalie O’Connor Légende : Alexei Ratmansky guide Carabosse (Nancy Raffa) et la Fée des Lilas (Veronika Part).

Opéra Bastille / Chor. Marius Petipa reconstruite par Alexei Ratmansky

Publié le 24 août 2016 - N° 246

L’American Ballet Theatre ressuscite La Belle au bois dormant. La compagnie revient à Paris avec une passionnante reconstruction du ballet de Marius Petipa, créé en 1890 à Saint-Pétersbourg mais transformé depuis au gré des productions. Alexei Ratmansky, l’un des grands maîtres néoclassiques actuels, s’est plié à l’exercice de style historique à partir d’une notation d’époque de la chorégraphie.

Comment avez-vous découvert les notations Stepanov, passées à l’Ouest après la Révolution russe et aujourd’hui dans les collections d’Harvard, qui couvrent 24 ballets de Petipa ?

Alexei Ratmansky : La première reconstruction en faisant usage date de 1999, avec une Belle au bois dormant de Sergueï Vikharev pour le Ballet du Mariinsky. Cet évènement a généré beaucoup de discussions, pour et contre. Cela a attisé mon intérêt, et j’ai utilisé les notations pour la première fois au Bolchoï en 2007, pour Le Corsaire – j’ai invité un chorégraphe qui savait les lire, Yuri Burlaka, et j’ai vu que tout était noté, des déplacements dans l’espace aux pas. J’ai alors attendu d’avoir un peu de temps libre pour apprendre à lire le système Stepanov moi-même, parce que j’ai compris qu’il s’agissait d’un véritable trésor, qui pourrait me donner une perspective complètement différente sur le répertoire classique.

Les notations Stepanov ne sont pas toutes complètes. Qu’est-ce qui est laissé à l’appréciation du lecteur dans celle de La Belle au bois dormant ?

A.R. : Il y a 220 pages de notation pour La Belle, et toutes les danses sont notées, à part peut-être une phrase ou deux. Ce qui manque, par contre, c’est la coordination des bras. Il faut compléter les lacunes en regardant les versions historiques, à Londres ou en Russie, mais également d’autres sources, comme les images, les articles, les programmes d’époque…

« Les reconstructions ont énormément enrichi mon vocabulaire et ma compréhension de la danse classique. »

On connaît surtout Petipa à travers les productions modernes de ses ballets. Est-ce que vous l’avez redécouvert ?

A.R. : Oui. Par exemple, tout est beaucoup plus rapide. Aujourd’hui, il y a des vides entre les phrases chorégraphiques, des moments où les danseurs marchent pour se replacer, parce qu’au fil du temps ils ont supprimé les pas de transition pour se reposer. Le Petipa que j’ai découvert est plus proche d’August Bournonville, et au XXe siècle Frederick Ashton a un travail similaire.

On a tendance à voir La Belle comme un symbole de l’ordre classique, d’une grandeur aristocratique qui renvoie à l’époque de Louis XIV. Est-ce que l’atmosphère de cette reconstruction est différente ?

A.R. : Je crois qu’elle est beaucoup plus humaine, plus douce. Il y a un certain nombre de petites touches humoristiques – sa construction reste grandiose, mais le résultat est plus fécond. Beaucoup de détails indiquent qu’Aurore et son prince sont des personnages de chair et d’os. Le ballet garde une dimension symbolique, mais il y a plus de vie, de chaleur.

Vous exigez des danseurs qu’ils modifient leur manière de danser pour retrouver le style de l’époque, avec notamment des jambes moins hautes. Comment se sont-ils adaptés à ce défi ?

A.R. : Ce fut difficile, et ça l’est encore. Certains ont plus de problèmes que d’autres. La chorégraphie exige beaucoup de force dans les pieds et les mollets. L’accent est mis sur la rapidité du bas de jambe, sans que les lignes soient complètement tendues. Il y a également énormément de changements de direction – la coordination exigée est très différente.

Vous avez réalisé trois reconstructions à ce jour avec Paquita et Le Lac des cygnes (que La Scala dansera au Palais des Congrès en novembre), toutes ailleurs qu’en Russie. Est-ce que c’est plus facile ?

A.R. : Oui, absolument. Des compagnies comme le Mariinsky et le Bolchoï en Russie, ou l’Opéra de Paris, ont une longue tradition liée à certaines versions de ces ballets, et en studio, on ne peut pas passer son temps à essayer de convaincre les danseurs de faire différemment. Même s’ils sont volontaires, leur mémoire corporelle et leurs goûts sont fondés sur ce qu’ils dansent année après année. Le travail est plus facile avec des compagnies qui n’ont pas une histoire aussi longue avec les œuvres.

En tant que chorégraphe, quelle influence les reconstructions ont-elles sur vos propres créations ?

A.R. : J’aime à croire qu’elles ont énormément enrichi mon vocabulaire et ma compréhension de la danse classique. Par ailleurs, servir quelqu’un d’autre, et non son propre ego, est un répit bienvenu. Je peux admirer la chorégraphie que j’enseigne aux danseurs, je n’ai pas peur de l’aimer – c’est un sentiment formidable.

 

Laura Cappelle

A propos de l'événement

La Belle au bois dormant
du vendredi 2 septembre 2016 au samedi 10 septembre 2016


Opéra National de Paris / Opéra Bastille

(horaires variables). Tél : 08 92 89 90 90.

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