Requiem pour les artistes
Un nouveau lieu pour une nouvelle création : [...]
Dans une mise en scène simple et limpide, Emilie Charriot fait vibrer le texte coup de poing de Virginie Despentes autour de la condition féminine.
« J’écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf ». Rien de mieux pour donner le ton général de cet “essai“ sur la condition féminine que de faire entendre directement cette langue punk et provoc de Virginie Despentes, qui développe néanmoins une réflexion parfaitement construite autour de la condition des femmes dans notre société. Emilie Charriot, jeune metteure en scène suisse, a eu la bonne idée de s’emparer de ce texte brûlant paru en 2006, dont elle a attrapé la vigoureuse oralité qu’elle a confiée à Julia Perazzini et Géraldine Chollet, comédienne et danseuse. Résultat, un spectacle à la mise en scène dépouillée – plateau nu, déplacements simples, adresses directes – qui tout en douceur délivre intacte et peut-être même décuplée la force de ce coup de poing porté par Despentes à quelques-unes de nos structures et de nos schémas phallocrates.
L’écriture et la prostitution
En cause notamment dans ce texte à forte teneur autobiographique, l’« entreprise ancestrale, implacable (qui) apprend aux filles à ne pas se défendre ». Virginie Despentes a été victime d’un viol, « ce qui me défigure et me constitue », et, pour se reconstruire, s’affranchir de sa condition féminine, a choisi de transgresser l’interdit de la prostitution, premier pas pour elle vers la littérature – elle tisse entre l’écriture et la prostitution des liens passionnants – et la constitution d’une force suffisante pour s’exclure du groupe. Mais de son exemple elle ne fait pas loi et la réflexion sur sa vie s’augmente d’une pensée sur ce qu’est être une femme dans une société où par exemple le viol est central dans l’imaginaire collectif – jusqu’à la constitution d’un fantasme du viol – et dans un espace public où l’autrice raconte avoir appris à se mettre en danger simplement à faire de l’auto-stop, s’habiller court et dormir dehors, en fait « à vivre comme si elle n’était pas une fille ». Une analyse théorique et culturelle de l’apprentissage de la soumission, une réflexion au langage vert portée par une danseuse qui commence en cherchant ses mots et sa place, relayée par une comédienne ferme et posée, sans jamais être virulente. Un pas de trois entre le texte et ces deux artistes autour de l’affirmation de soi, de l’échec, et peut-être plus encore que la question des femmes, autour de cette intransgressible loi naturelle qui fait qu’encore et toujours, partout, ce sont les plus forts qui gagnent.
Eric Demey
à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 16h. Tel : 01 47 00 25 20. Durée : 1h35.
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