« Cloche », OVNI de Rémi Luchez, surprenant, décalé, et tout à fait enthousiasmant.
Cloche, c’est un peu un OVNI : à la fois un [...]
Sur la scène du TNP à Villeurbanne, Jules Audry adapte et met en scène la vaste fresque de Sofia Andrukhovych, figure de la scène littéraire ukrainienne. Au-delà de la surface du présent, au point névralgique de la fabrication des récits qui s’efforcent de définir l’identité des êtres, la pièce propose une traversée existentielle tout en résonances, d’une grande qualité formelle.
Un homme sans passé, figé dans la douleur immobile d’une chambre d’hôpital. Une femme au présent, qui malgré l’adversité se fraye un chemin dans les méandres des couloirs pour le retrouver. Ce soldat blessé, défiguré par la guerre, privé de mémoire, c’est son mari, décrète-t-elle. Tout en mouvement, oscillant d’un espace à l’autre, ouvrant des brèches vers l’inconnu, la mise en scène très maîtrisée de Jules Audry installe d’emblée un faisceau de résonances, d’échos, de mises en abyme. Qu’adviendra-t-il lorsque le masque de laideur qui défigure Bohdan peut être enlevé ? Après une première partie à l’hôpital, le couple formé par Romane et Bohdan, interprété avec vivacité et densité par Alexandra Gentil et Yuriy Zavalnyouk, tente de se reconstruire au sein de la maison familiale, avant que soit évoquée l’histoire d’amour d’Oulyana, la grand-mère de Bohdan, et Pinhas, son petit ami juif, qui débute juste avant la Seconde Guerre mondiale. Entre l’individuel et le collectif, l’intime et l’historique, le dit et le non-dit, se dessine une arborescence infinie qui s’aventure bien au-delà du réalisme, et qui, heureusement, parvient à éviter l’écueil d’une partition trop cérébrale, trop abstraite, trop marécageuse. Soutenus par un corps performatif, dans cet esprit de liberté du théâtre d’art né en Europe de l’Est, le jeu et les paroles se laissent traverser par des échappées oniriques. Quelque chose de profond se raconte sur l’indicible d’un passé traumatique, sur la pesanteur d’une histoire familiale, sur le déni du réel – y compris à travers un détail aussi limpide qu’une pointure de chaussure, qui devient… flou.
Entre perte et appropriation
Le projet est né d’affinités, d’un compagnonnage au long cours initié en Ukraine, où le metteur en scène travaille régulièrement depuis une dizaine d’années. Au Théâtre National d’Ivano-Frankivsk, Jules Audry a déjà adapté et mis en scène le roman Felix Austria de l’autrice Sofia Androukovitch, ancré dans une ville paisible de Galicie autour de 1900, à l’aube de la dissolution d’un monde. Leur compagnonnage s’est poursuivi avec cette nouvelle mise en scène, adaptation d’une vaste fresque couvrant trois siècles d’histoire, premier volet d’un diptyque dont le second opus sera créé en Ukraine, et en langue ukrainienne. Au sein de la belle scénographie de Juliya Zaulychna, un alliage soigné et signifiant se met en place, unissant les lumières de Lison Foulon, la partition sonore de Jean Galmiche, subtilement présent au plateau, la vidéo de Pierre Martin Oriol. Ce travail formel très précis permet de laisser place aux fondations invisibles de l’être, au poids d’une Histoire effarante. Ici non seulement l’oubli et le souvenir se nourrissent l’un de l’autre, mais la mémoire même n’est pas étrangère à une forme d’illusion, dans une appropriation couturée, tissée de déformations, qui tout simplement permet de vivre – ou pas. Écrite avant la guerre, la fiction interroge sur ce qui définit l’identité d’êtres marqués par la perte. Et là encore intervient une résonance, actuelle et tragique, questionnant ce qui définit l’identité de l’Ukraine, de la Russie, de l’Europe, tandis que la guerre tue en masse et s’éternise.
Agnès Santi
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 20 h 30, dimanche à 16 h. Le roman Amadoca paraîtra aux éditions Belfond en janvier 2026, traduit par Iryna Dmytrychyn. Tél : 04 78 03 30 00. Durée : 1h50. Spectacle en français et ukrainien surtitré.
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