Shakespeare, l’étoffe du monde
Le Centre National du Costume de Scène et de [...]
Après le solo Merci, Daniel Pennac revient au Théâtre du Rond-Point et lit Journal d’un corps. De douze à quatre-vingt-sept ans, un homme raconte l’histoire intime de cette complexe et étonnante mécanique.
Qu’est-ce que ce Journal d’un corps ?
Daniel Pennac : Le journal qu’un individu tient de son corps, de douze ans et neuf mois à quatre-vingt-sept ans, alors qu’il est par ailleurs très hostile au principe du journal intime et du récit des états d’âme. A l’origine de sa vie, il y a un traumatisme : il grandit sans corps, comme ces enfants qui ne jouent pas, au bord des bacs à sable. Mais, à un moment donné, il part à la conquête de son corps et écrit le journal de cette conquête. Il décide de contrôler tous les effets de son imagination sur son corps et de son corps sur son imagination, et il se construit. Ce n’est pas le journal d’une lamentation hypocondriaque, mais la recension de ses sensations, de l’ensemble des manifestations que son corps propose à son esprit.
« Le corps va de surprise en surprise. »
Quelle différence entre états d’âme et états de corps ?
D. P. : Tout ce qui regarde les états d’âme regarde les affects, les opinions, les ragots, les lectures, la formation de l’esprit. Lui, au contraire, est à l’affût des surprises que lui réserve son corps. Le corps va de surprise en surprise. Un éternuement est une surprise, même familière. Avec l’âge, la surprise change de nature : la première éjaculation, le premier orgasme, la première grippe… C’est en cela que le vieillissement n’est pas nécessairement un abandon : ce qu’on peut considérer de l’extérieur comme une dégradation est encore une surprise. Même si le vieillissement est désagréable, il intéresse le narrateur, dans la fidélité à son projet, et la nature de cet intérêt installe les conditions de l’humour et de la distance. Quand on a tenu toute sa vie le journal de son corps, une agonie ne se refuse pas, dit-il.
Pourquoi avoir choisi la lecture comme mode d’expression ?
D. P. : La lecture est mon mode d’expression depuis toujours. J’ai passé ma vie de prof à lire. J’ai lu le Bartleby de Melville pendant trois ans. Je m’apprêtais à lire Le Livre de l’intranquillité, de Pessoa, mais Clara Bauer a voulu monter Journal d’un corps, et j’ai cédé à son désir de mise en scène. Ça n’a pas modifié le rapport à l’œuvre mais ça l’a incarnée. Je l’ai lu déjà presque une centaine de fois. Il y a quelque chose de touchant, une espèce de mystère de l’incarnation laïque, quand on lit. Ces moments, comme des parenthèses à la concentration rêveuse, sont très touchants. J’aime énormément le rapport avec les autres qu’entretient la lecture. Je ne fais pas partie de ces écrivains touchés par le syndrome de la tour d’ivoire : j’avais envie de voir du vivant, et le vivant, c’est le théâtre !
Catherine Robert
Du 3 juin au 5 juillet 2014, à 21h ; le dimanche à 15h30 ; relâche les 7 et 8 juin. Réservations au 01 44 95 98 21.
Le Centre National du Costume de Scène et de [...]