La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

José Pliya

José Pliya - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 novembre 2010

La question si ordinaire du Mal

Avec notamment Roland Bertin et Christiane Cohendy, Hans Peter Cloos met en scène Une Famille ordinaire de José Pliya, qui met à jour la proximité du mal à travers le quotidien d’une famille allemande pendant la seconde guerre mondiale.

« Les liens qui se tissent au sein d’une famille et qui, selon moi, peuvent être facteurs d’héroïsme ou de monstruosité. »
 
Quel est le sujet d’Une Famille ordinaire et qu’est-ce qui a déclenché son écriture ?
 
José Pliya : Le sujet de la pièce, c’est celui du quotidien d’une famille ordinaire, la mienne, la vôtre, celle de M. et Mme tout le monde, un quotidien fait de frustrations et de non-dits avec ses petites joies et ses petits secrets, mais qui se trouve pris dans un contexte historique extraordinaire : une guerre. Le déclenchement de son écriture vient de mon interrogation sur la question du Mal, ce diable que nous portons en nous et qui a tendance à se démultiplier en temps de guerre. Ce que je voulais mettre en lumière au départ c’était une famille Hutu dans la guerre civile rwandaise de 1994. Mais le sujet était trop frais historiquement, trop proche dans le temps et sans recul pour que je le traite sans pathos. La seconde guerre mondiale m’offrait ce recul et cette distanciation.
 
Vous dites que la pièce n’est pas une pièce historique mais une pièce sur l’amour, ses absences, ses défaillances. Qu’entendez-vous par là ?
J. P. : Effectivement, l’Histoire et la seconde guerre mondiale sont dans cette pièce un prétexte, un écrin qui me permettent d’installer un principe de réalisme, de vraisemblance. Le véritable sujet ce sont les liens qui se tissent au sein d’une famille et qui, selon moi, peuvent être facteurs d’héroïsme ou de monstruosité. Je viens d’une famille nombreuse où il y a eu beaucoup d’amour. Pourtant, les démons que je portais en moi auraient pu, à l’adolescence, me faire basculer dans la délinquance. Lorsque je me suis retrouvé au bord du gouffre, c’est ce contexte familial d’amour qui m’a sauvé… Ce que je dis là n’est pas systématique, ce n’est pas du déterminisme, c’est juste mon histoire et mes peurs que j’ai voulu raconter en négatif : et si j’étais ce Julius Abraham privé d’expression d’amour et d’affection, surtout par son père, que serais-je devenu?
 
Comment la grande Histoire et les histoires individuelles se croisent-elles dans la pièce ?
J. P. : J’ai eu pour principale référence historique, la somme de Daniel Jonah Goldhagen Les bourreaux volontaires d’Hitler. Un implacable – et polémique – réquisitoire sur la responsabilité du peuple allemand dans le génocide juif. La thèse de cet historien américain consiste à dire que la shoah n’a pu se faire avec cette ampleur sans la participation volontaire de l’allemand ordinaire. Documents et preuves à l’appui, il déroule son parti pris. Ma conviction va plus loin et elle est camusienne : nous sommes tous, collectivement, responsables de la mort d’un homme qui meurt assassiné quelque part sur cette terre. J’ai essayé de croiser responsabilité individuelle et responsabilité collective ou historique par une dramaturgie simple qui met des personnages en prise avec des obstacles intimes ou publics.
 
Trois générations se côtoient : les parents, le fils et la belle fille et leur fille. Comment intervient la plus jeune ? Comment traitez-vous le temps dans la pièce ?
 
J. P. : La plus jeune, Vera, est à la fois extrêmement concrète et totalement allégorique. On peut considérer qu’elle parle depuis un présent atemporel, a-historique. C’est la voix de l’ici et du maintenant qui par-delà la réalité des secrets et des mochetés commises par ses parents – que savons-nous ou que voulons-nous vraiment savoir de la vie de nos parents ? – ouvre un chemin vers la réconciliation. Mais c’est aussi une voix intérieure, celle de l’enfant en nous qui se raconte ses mythologies pour survivre à l’horreur. Dans le texte, il y a le temps historique de 39-45 et le temps poétique, celui de Véra.
 
 
Avez-vous rencontré le metteur en scène Hans Peter Cloos et les comédiens ?
 
J. P. : Oui, c’est grâce à une comédienne et amie, Lara Suyeux, que j’ai rencontré Hans Peter. Ensemble nous avons participé à une lecture qui réunissait déjà l’essentiel de l’actuelle distribution. Si je regrette qu’au bout du compte, Lara ne fasse plus partie de l’aventure, je suis heureux que ce texte trouve le chemin d’une nouvelle création, avec en tête l’immense Roland Bertin.
 
Propos recueillis par Agnès Santi


Une Famille ordinaire de José Pliya, mise en scène Hans Peter Cloos, du 4 au 27 novembre, au Théâtre de l’Est Parisien, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris. Tél : 01 43 64 80 80.

A propos de l'événement


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